Abraham (3) : le juste vivra par sa foi

Nous continuons l’histoire d’Abram, qui est aussi la nôtre comme nous l’avons fait remarquer. Il a quitté sa terre, sa famille, la maison de son père, il est celui par qui les nations seront justifiées (le mot nation en hébreu se dit goy, et par extension il prendra le sens de non-juif).

Après ces événements, la parole du Seigneur fut adressée à Abram dans une vision : « Ne crains pas, Abram ! Je suis un bouclier pour toi. Ta récompense sera très grande. »

En général quand Dieu commence à dire Ne crains pas, c’est qu’il va se passer quelque chose d’inattendu, une révélation. C’est l’expression qui revient le plus souvent dans la Bible, 365 fois en tout, une fois par jour ! Dieu renouvelle sa promesse : « Ta récompense sera très grande », et Abram gémit : « Ça me fait une belle jambe, puisque de toute façon je n’ai pas d’héritier ! Tout ira à un de mes serviteurs. » Alors Dieu met les points sur les i ; jusqu’à présent, il avait parlé de postérité, maintenant il précise : « Quelqu’un issu de ton sang ». Et il ajoute : « Compte les étoiles si tu le peux : telle sera ta postérité ». Rappelons quand même qu’Abram a dans les 80 balais, ça ne facilite pas les choses.

Et là, arrive le verset qui fait vraiment d’Abram le père des croyants : « Abram mit sa confiance dans le Seigneur et le Seigneur estima qu’il était juste. » Le mot hébreu utilisé est aman, qui renvoie à l’idée de solidité, de stabilité (comme des piliers de porte). C’est le même mot qui est employé pour dire la fidélité de Dieu ! Croire en Dieu, c’est donc mettre sa confiance en lui qui est solide, c’est éprouver sa solidité.

Le saut de la foi

Dans Indiana Jones et la dernière croisade, on trouve une séquence qui décrit admirablement, à mon sens, ce qu’est la foi. Rappel : après bien des aventures toutes aussi invraisemblables les unes que les autres, Indiana Jones doit encore passer trois épreuves pour arriver jusqu’au Graal ; la troisième se nomme le saut de Dieu : Indy se trouve devant un précipice sans fond (il y a toujours des précipices dans Indiana Jones) qu’il doit traverser pour atteindre l’autre côté. Pas de pont, rien. Un vieux grimoire (il y a toujours des vieux grimoires dans Indiana Jones) dit : « Uniquement dans le saut pourra-t-il prouver sa valeur ». Il faut donc sauter, et sauter dans le vide ; c’est véritablement le saut de la foi. Indy respire un grand coup, fait un pas en avant … et marche, apparemment dans le vide ! La caméra passe alors en vue de profil, et on s’aperçoit qu’il y avait un pont en pierre, qui se confond si parfaitement avec la muraille qu’il en devient invisible ! (Si vous avez du mal à vous représenter la scène, vous pouvez aller voir par ici).

Et bien la foi, c’est un peu la même chose : quand Dieu nous demande quelque chose d’apparemment impossible, il faut respirer un grand coup, fermer les yeux et sauter dans la confiance comme on saute dans le vide … et on s’aperçoit qu’on ne tombe pas ! Mais il est vrai que tant qu’on n’en a pas fait l’expérience, c’est difficile à imaginer.

 « Et le Seigneur estima qu’il était juste. » Dans la Bible, le juste désigne celui qui marche avec Dieu. Il ne « fait » rien de spécial – il marche avec Dieu, et à travers lui Dieu se donne à voir et à entendre, aujourd’hui comme hier.

Couper l’alliance

Alors Dieu ne va plus se contenter de faire une promesse, il va sceller une alliance avec Abram. Pas en apposant sa signature en bas d’un parchemin (qui d’ailleurs n’existait pas à l’époque) : dans une société où la vie et précaire et où toute alliance est une question de vie ou de mort, l’alliance se coupe (karat berithi en hébreu) dans la chair. La pratique ancestrale consiste à couper des animaux en deux ; les contractants doivent passer entre les morceaux, qui représentent le sort réservé à celui qui romprait l’alliance.

Le soleil se couche et une torpeur tombe sur Abram. Dans la Bible, la torpeur est toujours annonciatrice d’une alliance, d’un surgissement de la vie divine. Et là, il se passe quelque chose d’étonnant : Dieu seul traverse, sous la forme du feu et de la fumée (formes qu’on retrouvera plus tard dans l’épisode du buisson ardent ou de la colonne de nuée qui guidait les Hébreux dans le désert). Dieu seul s’engage ! Plus fort : en principe, lors d’une alliance entre un seigneur et son vassal, c’est le vassal qui doit passer entre les morceaux, c’est sur lui que tombe le châtiment s’il n’est pas fidèle. Ici, Dieu se fait le vassal d’Abram, il prend sur lui les obligations de l’alliance ! « Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les morceaux d’animaux. Ce jour-là, le Seigneur conclut une alliance avec Abram ». On comprend qu’Abram soit saisi de torpeur et d’effroi !

Un petit coup de pouce

Oui mais voilà ! Abram n’a pas d’enfant. Il veut bien croire à la promesse de Dieu, mais comment donc va-t-il s’y prendre pour la tenir ? Peut-être faudrait-il lui donner un petit coup de pouce ? C’est en tout cas ce que pense Saraï : elle met dans les bras de son mari sa servante égyptienne Agar, comme mère porteuse pourrait-on dire, pour qu’il ait un fils, qu’elle reconnaîtrait ensuite (pratique relativement courante à l’époque). Hop ! Aussitôt dit, aussitôt fait, et Agar devient enceinte d’Abram.

Arrive alors ce qui devait arriver : Agar se la pète devant Saraï, fait comme si c’était elle la chef, et tous consorts. Nous voilà dans de beaux draps ! Saraï se plaint à son mari, qui montre un courage à toute épreuve : « Ta servante est entre tes mains, fais-lui ce que bon te semble. » Saraï ne se le fait pas dire deux fois, et elle humilie tellement Agar que celle-ci s’enfuit (juste retour des choses, me direz-vous). Dieu la récupère et lui fait la leçon (« Retourne chez ta maîtresse et sois-lui soumise »). Mais comme elle porte quand même l’enfant de l’Élu, il lui fait une promesse : « Je te donnerai une descendance tellement nombreuse qu’il sera impossible de la compter. Tu vas enfanter un fils, et tu lui donneras le nom d’Ismaël (c’est-à-dire : Dieu entend), car le Seigneur t’a entendue dans ton humiliation. » Et voilà qu’à 86 ans, Abram devient papa pour la première fois.

Mais comme nous l’avons vu, la promesse que Dieu a faite à Abram, il l’a faite en réalité au couple. L’enfant de la promesse ne sera pas Ismaël, mais un fils né de Saraï.

Dans sa chair il a établi une alliance

« Le juste vivra par sa fidélité » dira le prophète Habaquq quelques siècles plus tard. Et de fait, les années passent et rien ne se passe. Abram a maintenant 99 ans, c’est un bel âge ; mais où est donc la promesse ? C’est le moment que Dieu choisit pour lui apparaître et lui dire : « Marche en ma présence et sois parfait. » Ah oui ? Et jusque là, c’était quoi ? Mais justement, maintenant qu’Abram est vieux et sage aux yeux des hommes, Dieu l’invite à être parfait d’une autre perfection. Et pour bien marquer le coup, il lui donne un nom nouveau : Abraham, qui signifie père d’une multitude. Dieu a de la suite dans les idées ! Il change aussi le nom de Saraï (ma princesse) en Sarah (princesse tout court) : il s’agit donc pour eux d’une nouvelle naissance, d’autant plus que la lettre ajoutée dans leurs deux noms, le en hébreu, est dans la tradition biblique, le signe de la création et de la vie. Autant dire que ce changement de nom est en réalité une re-création pour une nouvelle fécondité.

Et voilà que Dieu va sceller une nouvelle alliance, non plus avec Abraham seul, mais avec lui et sa descendance après lui ; une alliance dans la chair : la circoncision. C’était une coutume déjà assez répandue dans les pays du Moyen-Orient, et jusqu’en Égypte. Elle avait une raison hygiénique et surtout sociale, puisqu’on la pratiquait souvent un peu avant la puberté, comme un rite d’initiation, plus ou moins liée au mariage et à la fécondité. De nos jours, elle est encore largement pratiquée en Afrique, par exemple, sans aucune signification religieuse.

Mais Dieu va donner à cette pratique un nouveau sens : « Inscrite dans votre chair, mon alliance deviendra une alliance éternelle. » Waouh ! Ça rigole plus ! L’Alliance éternelle, l’Alliance pour la vie éternelle, est marquée par un signe sur la partie du corps associée à la fécondité : belle trouvaille ! Par la circoncision, l’homme entre dans l’élection, mais c’est par la femme que l’identité juive se transmet : la multitude viendra de Sarah la Juive, pas d’Agar l’Égyptienne.

La circoncision deviendra au fil du temps la marque distinctive de l’appartenance au peuple d’Israël, mais elle rend surtout apte à entre dans l’Alliance, à faire ce que Dieu veut. Seule la Nouvelle Alliance dans le sang du Christ permettra de contourner la circoncision : « Dans le Christ Jésus, ce qui a de la valeur, ce n’est pas que l’on soit circoncis ou non, mais c’est la foi, qui agit par la charité » (Ga 5, 6).

Abraham se met au boulot et circoncit le jour même tous les mâles de sa maison, serviteurs et esclaves, enfants et adultes (ça doit faire mal). Pas de détail : quand le chef entre dans une nouvelle religion, tous ceux de sa maison doivent y entrer aussi, pour favoriser l’unité (c’est le principe du Cujus regio, ejus religio = Telle la religion du prince, telle celle du pays). Tout est prêt pour la réalisation de la promesse.

Image par dawnydawny de Pixabay

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