La liturgie eucharistique : le temps de la paix

On pourrait penser que la Prière eucharistique et la consécration sont le point culminant indépassable de la messe. Et bien non ! L’aboutissement de la célébration, le sommet de la participation des fidèles, c’est la communion. Mais pour communier sereinement, il importe d’être en paix, avec soi, avec les autres, et avec Dieu.

Notre pain quotidien

Cette communion commence par la récitation (ou le chant) de « la prière que nous avons reçue du Sauveur » : le Notre Père. Comme le prêtre a appelé l’Esprit Saint sur l’assemblée au cours de la Prière eucharistique (cf. Le temps de la Présence), c’est « unis dans un même Esprit » que nous pouvons dire Père. Cette prière nous prépare à la communion en nous faisant dire « Donne-nous aujourd’hui notre pain de ce jour », ce pain quotidien ayant toujours été compris dans les deux sens de nourriture terrestre et spirituelle. Conscients que nous ne le méritons pas, nous ajoutons « Pardonne-nous nos offenses ». On pourrait estimer que cette accumulation de demandes de pardon au cours de la messe a pour but de nous écraser devant un Dieu tout-puissant, omniscient et revanchard. Il n’en est rien : il s’agit plutôt de nous situer à notre juste place devant celui qui nous a créés avec amour, non pas pour qu’il nous écrase, mais bien au contraire pour qu’il nous relève ! Car Dieu veut pour nous le meilleur, comme un père veut le meilleur pour ses enfants, chacun à sa manière. Encore nous faut-il prendre conscience que nous avons besoin d’être relevés, et que nous ignorons nous-mêmes ce qui est le meilleur …

Là, je vais dire une énormité : si Dieu est le Père de tous, alors nous sommes tous frères. C’est très bête à dire, beaucoup plus difficile à vivre. C’est une évidence : le monde ne va pas bien, il y a des guerres partout, les gens se tapent dessus, et la violence a envahi nos smartphones. C’est pourquoi nous demandons : « Délivre-nous de tout mal, Seigneur, et donne la paix à notre temps ». À notre temps, mais aussi à chacun de nous. Il m’est arrivé, hélas, d’aller communier alors que j’avais des comptes sérieux à régler avec une ou des personnes présentes : ce n’est pas agréable. C’est même un très grand péché (que j’ai confessé depuis, rassurez-vous) : l’épreuve suprême de l’Église, c’est l’absence de paix entre ses membres, et, par delà, dans le monde. « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé » (Jn 17, 21) ; comment croire en un Dieu Père de tous si ses enfants se tapent sur la figure ?

Que la paix du Seigneur soit toujours avec vous

C’est donc tout naturellement que nous arrivons au signe de la paix, facultatif dans le Missel mais largement adopté dans nos assemblées. « Frères et sœurs, dans la charité du Christ, donnez-vous la paix » dit le prêtre (ou le diacre s’il y en a un), et chacun de se tourner vers son voisin pour lui serrer la main. Attention ! Contrairement aux apparences (et, trop souvent, à la pratique), ce n’est pas le moment des mondanités ! La consigne est claire : « Il convient que chacun souhaite la paix de manière sobre et uniquement à ceux qui se trouvent le plus près » (PGMR 82). Inutile donc de faire le tour de l’église ou d’agiter les bras pour attirer l’attention d’une connaissance située quelques rangs plus loin. Sobre on a dit ! Il faut reconnaître qu’au moment où l’on devrait être le plus recueilli, ce geste devient parfois source de dispersion, ce qui, pour un acte censé rassembler, est tout de même un comble. Rome a d’ailleurs invité dernièrement les Conférences épiscopales à « changer la manière de se donner la paix […] dans tous les lieux où on a recours à des gestes familiers et à des salutations profanes ». En clair : la poignée de main et surtout la bise sont à réserver au simple ‘bonjour’. Ici, c’est la paix du Christ que nous nous donnons, pas la nôtre. Pour bien distinguer, on peut par exemple donner la paix avec les deux mains, à la manière des moines ou des prêtres à l’autel.

Petite expérience vécue : dans ma paroisse, à la messe de semaine, le prêtre dit : « Cette paix, je vais vous la donner et vous allez vous la transmettre entre vous », et il donne la paix à la première personne à sa droite et à sa gauche, et chacune d’elles la donne à son voisin, qui la donne à son voisin, etc. Cette pratique soude le groupe de manière incroyable ! Mais bien entendu, elle ne peut être mise en place que dans les messes en petit comité.

Comme les grains sur les collines viennent se fondre au même pain

Revenir à la simplicité du geste de paix présente l’avantage non seulement d’éviter la pagaille, mais aussi de mettre en avant l’action qui suit, et qui revient au prêtre : la fraction du pain. Ce geste passe malheureusement souvent inaperçu, alors qu’il contient et révèle le sens du sacrement : « Il signifie que les nombreux fidèles, en communiant à l’unique pain de vie, qui est le Christ mort et ressuscité pour le salut du monde, deviennent un seul corps » (PGMR 83). Par ce geste, on passe presque visiblement du Corps sacramentel (le pain consacré) au Corps mystique (l’Église). La fraction doit être à la fois visible et sobre (la sobriété est un des maîtres mots de la liturgie) : pas la peine de lever l’hostie au plafond ou de la faire craquer devant le micro. Il faut noter, et ce n’est pas anodin, que l’expression « fraction du pain » a été la première utilisée par les Apôtres pour désigner la messe …

Certains s’étonnent parfois que la fraction du pain n’ait pas lieu pendant le récit de l’institution de l’eucharistie : il prit le pain, le bénit en rendant grâce, le rompit, et le donna à ses disciples. Et d’ailleurs certains prêtres le font. C’est méconnaître le sens de la Prière eucharistique, qui est un mémorial, et non pas un mime ; et qui est également une action de grâce réalisant la deuxième action de Jésus. D’une manière générale, on peut considérer que la présentation des offrandes représente la première action (il prit le pain), la Prière eucharistique est la deuxième action (il rendit grâce), la fraction du pain est la troisième (il le rompit) et la communion est la quatrième (il le donna).

Si vous regardez bien ce que fait le prêtre, vous verrez qu’il laisse tomber un tout petit morceau d’hostie dans le calice (on appelle ça l’immixtion), en disant : « Que le corps et le sang de Jésus Christ, réunis dans cette coupe, nourrissent en nous la vie éternelle ». Si la consécration du pain et du vin séparément signifie et actualise le sacrifice du Calvaire, le geste de l’immixtion, lui, évoque la Résurrection qui a réuni pour la vie éternelle l’âme et le corps du Christ.

Comme un agneau muet conduit à l’abattoir

Pour accompagner le rite de la fraction, on chante un truc aux paroles énigmatiques : Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde, prends pitié de nous. Que vient faire ici ce mouton divin ? La première mention de l’agneau immolé dans la Bible se trouve dans le Livre de l’Exode au chapitre 12 :

Le dix de ce mois, que l’on prenne un agneau par famille, un agneau par maison. […] Dans toute l’assemblée de la communauté d’Israël, on l’immolera au coucher du soleil. On prendra du sang, que l’on mettra sur les deux montants et sur le linteau des maisons où on le mangera. […] Le sang sera pour vous un signe, sur les maisons où vous serez. Je verrai le sang, et je passerai : vous ne serez pas atteints par le fléau dont je frapperai le pays d’Égypte. Ce jour-là sera pour vous un mémorial. […] C’est un décret perpétuel : d’âge en âge vous la fêterez. (Ex 12, 3-14)

Et effectivement, les Juifs fêteront chaque année la Pâque du Seigneur en mémoire de leur libération d’Égypte (cf. Le passage de la Mer rouge). Or, même si on ne connaît pas avec certitude la date de la mort de Jésus, il ne fait aucun doute que son dernier repas, celui dont nous faisons mémoire au cours de l’eucharistie, a eu lieu précisément dans le contexte de la Pâque juive.

Mais on peut aussi penser au Serviteur souffrant que nous décrit le prophète Isaïe :

C’étaient nos souffrances qu’il portait, nos douleurs dont il était chargé. Et nous, nous pensions qu’il était frappé, meurtri par Dieu, humilié. Or, c’est à cause de nos révoltes qu’il a été transpercé, à cause de nos fautes qu’il a été broyé. Le châtiment qui nous donne la paix a pesé sur lui : par ses blessures, nous sommes guéris. […] Maltraité, il s’humilie, il n’ouvre pas la bouche : comme un agneau conduit à l’abattoir, comme une brebis muette devant les tondeurs, il n’ouvre pas la bouche. (Is 53, 3-6)

Très vite, les disciples ont associé Jésus à ce Serviteur souffrant, comme un nouveau bouc émissaire (encore une image biblique évoquée dans le Lévitique : un bouc était désigné par le sort, chargé des péchés d’Israël et envoyé au désert), non plus tiré au sort, mais donnant volontairement sa vie pour sauver tous les hommes. Et il est vrai que la notion de « victime de substitution » est présente dans les Écritures depuis le sacrifice d’Abraham. C’est probablement dans cet esprit que Jean le Baptiste désignera Jésus à ses disciples : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29).

Heureux les invités au festin des noces de l’Agneau

À la suite de la fraction du pain, le prêtre se prépare à communier en disant une phrase que chacun peut reprendre à son compte : Seigneur Jésus Christ, Fils du Dieu vivant, selon la volonté du Père et avec la puissance du Saint-Esprit, tu as donné, par ta mort, la vie au monde ; que ton Corps et ton Sang me délivrent de mes péchés et de tout mal ; fais que je demeure fidèle à tes commandements et que jamais je ne sois séparé de toi. Ou encore : Seigneur Jésus Christ, que cette communion à ton Corps et à ton Sang n’entraîne pour moi ni jugement ni condamnation ; mais qu’elle soutienne mon esprit et mon corps et me donne la guérison. Car c’est bien de guérison qu’il s’agit là : le verbe grec sozo signifie aussi bien sauver que guérir.

Puis le prêtre élève le pain rompu (et non pas la grande hostie plus ou moins « reconstituée ») et la coupe du salut en reprenant la phrase de Jean Baptiste, et en ajoutant : « Heureux les invités au repas du Seigneur ». Car, nous l’avons vu (cf. Le sacrifice de la messe) le sacrifice de la messe est sacrifice de communion, qui nous rapproche de Dieu et nous fait participer à sa propre vie. Conscient que notre participation à un tel sacrifice est parfaitement imméritée, nous répondons par les paroles du centurion à Jésus (Mt 8, 8) : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir, mais dis seulement une parole et je serai guéri ». Nous voici maintenant prêt à recevoir notre Salut.

Image © Elisée

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