Le psaume : un cri écrit

Presque tous les livres de la Bible sont utilisés, à plus ou moins grande échelle, dans la liturgie : les textes de l’Ancien Testament pour la première lecture de la messe, les textes du Nouveau (les lettres de saint Paul surtout), pour la seconde. Entre les deux, il y a cette espèce de poème sans rime ni régularité syllabique qu’on appelle un psaume ; c’est sur lui que nous allons nous pencher aujourd’hui, et sur sa place dans la Bible et dans nos prières.  

Un poème chanté

Le mot psaume vient du grec psalmos qui désigne un air joué sur un instrument à corde nommé psaltérion. C’est donc un poème qui est fait pour être chanté, et non récité, et encore moins lu. Le Livre des Psaumes (en hébreu sefer tehillim, livre des louanges) en compte 150, répartis en cinq livres : Ps 1-41, 42-72, 73-89, 90-106 et 107-150. On repère la fin d’un livre par la doxologie qui le conclut, du genre : Béni soit le Seigneur, Dieu d’Israël ! Amen ! Les cinq derniers psaumes, 146-150, commencent par Alléluia ! et sont comme une grande louange au Dieu Très-Haut, un coup de cymbales « sonores et triomphantes » !

On a longtemps attribué la paternité de l’ensemble du psautier au roi David ; il est vrai que David était musicien (c’est d’abord comme joueur de cithare qu’il entre à la cour du roi Saül 1 S 16,14-23), et qu’il a organisé le chant liturgique lors du transport de l’Arche d’Alliance à Jérusalem (1 Ch 15,16). Cela ne signifie pas pour autant qu’il a écrit lui-même tous les psaumes ; d’ailleurs, si certains psaumes sont dits « de David », d’autres par contre sont dits « d’Asaph », d’autres encore « des fils de Coré », lévites servant au Temple du temps de David. On peut surtout supposer que les psaumes ont été forgés au cours de plusieurs siècles de prières personnelles et communautaires, et qu’ils sont souvent la relecture de l’histoire d’Israël, enrichis et réadaptés.

Un cri du cœur

Car avant d’être un texte écrit, le psaume est un cri ! Cri de joie ou de détresse, de plainte ou de louange, il est le chant d’un homme face à son Dieu, lui disant dans l’exultation ou dans les larmes son expérience de la vie et de la mort, du salut, de la souffrance, de l’injustice, etc. Et il le dit dans une langue extrêmement imagée, car l’hébreu est une langue concrète qui ne connaît pas l’abstrait. Pour dire la détresse la plus profonde, le sentiment d’abandon, l’incapacité à se relever, il ne fait pas dans la demi-mesure : « J’enfonce dans la vase du gouffre » (Ps 68,3), « Que la gueule du puits ne se ferme pas sur moi » (Ps 68,16), « Je suis un ver, pas un homme » (Ps 21,7) ; pour dire la joie, le salut, la louange, il va utiliser des expressions du genre : « Ton amour me fait danser de joie » (Ps 30,8), « Tu as changé mon deuil en une danse, mes habits funèbres en parure de joie » (Ps 29,12). Avec les psaumes, on passe sans transition du malheur extrême à la jubilation, de la supplication à l’action de grâce, de la mort à la vie.

Joseph Gélineau, grand connaisseur des psaumes qu’il a abondamment mis en musique, nous livre une explication dans son Traité de la psalmodie (Église qui chante, document 22, 1992) : « Ce que sont pour moi la vase et la boue, les flots, le gouffre et l’abîme, sera découvert par mes répulsions, mes peurs, mes remords, mes espoirs ; et le salut demandé sera ce que désire mon cœur. » Les psaumes sont une invitation à aller au plus profond de nous-mêmes, à nous mettre sans honte sous le regard de Dieu, à tout espérer de lui, y compris notre propre vie.

Paradoxalement, bien des mots des psaumes peuvent nous paraître abstraits : vérité, foi, loi, jugement, gloire, etc. Pourtant, leur étymologie est bien concrète : « En hébreu, la vérité est solide comme un pieu enfoncé en terre, inébranlable comme une montagne ; la foi s’appuie solidement sur quelqu’un de fiable ; la gloire pèse lourd ; la loi montre les mœurs de Dieu envers l’homme ; ses jugements sont ses interventions dans notre histoire ; etc. » (J. Gélineau).

Un cri du corps

Dans le langage si coloré des psaumes, le corps tient une grande place, que ce soit pour dire la souffrance (« Je suis comme l’eau qui se répand, tous mes membres se disloquent » Ps 21,15), le péché (« Mes plaies sont puanteur et pourriture : c’est là le prix de ma folie » Ps 37,6), la louange (« Tous les peuples, battez des mains ! » Ps 46,2), la confiance (« Ma chair elle-même repose en confiance » Ps 15,9) : c’est dans chaque partie de son corps que le psalmiste fait l’expérience de la détresse, de la supplication, du péché, mais aussi du salut et de l’action de grâce. Les psaumes nous rappellent de manière salutaire que le corps est le lieu fondamental où se joue la rencontre avec Dieu : nous ne sommes pas des purs esprits.

Cette présence du corps se retrouve dans la façon de chanter le psaume. Le moins qu’on puisse dire, c’est que dans les psaumes, au moins en français, les vers ne sont pas réguliers, il n’y a pas de rimes, le nombre de versets est aléatoire : on ne peut pas chanter un psaume comme s’il s’agissait d’un cantique bien construit, avec des temps, des mesures et un rythme. La psalmodie est un art à part, qui allie le souffle, le bilatéralisme du corps, et le silence. Il n’y a pas de rythme proprement dit, mais une sorte de pulsation paisible, chaque partie de verset (on appelle ça un stique) étant récité d’un seul souffle égal et tranquille ; une pause, de la durée d’une respiration, sépare et unit les deux stiques. C’est d’ailleurs un critère de qualité dans la traduction liturgique d’un psaume, que le respect de cette pulsation. L’ensemble forme comme un balancement, qui n’est pas sans rappeler celui des Juifs dans la prière ou l’étude. Mais un balancement discret, calme, qui permet de se concentrer sur les mots, non pas seulement sur leur sens, mais aussi sur les assonances, les allitérations, le côté presque sensuel de la prononciation, qui donne le sentiment de mâcher la Parole de Dieu.

Le visage de Dieu

Car il ne faut pas oublier que les psaumes sont la Parole de Dieu au même titre que le reste de la Bible. Et cette Parole est libératrice : elle nous permet d’entrer dans une prière qui n’est pas la nôtre, et qui pourtant rejoint notre expérience humaine. Avec les psaumes, Dieu met lui-même sur nos lèvres les mots pour le prier ; et quels mots ! « Je t’aime, Seigneur, ma force ! » (Ps 17,2), « Je n’ai pas d’autre bonheur que toi » (Ps 15,2), « Mon âme a soif de Dieu ! » (Ps 41,3) : oserions-nous prononcer de telles phrases, si la Bible, à travers la liturgie, ne nous y invitait ? Les psaumes nous offrent la possibilité de laisser jaillir de nous les sentiments et les émotions, positives ou négatives, trop longtemps enfouis ou refoulés. La pudeur, le respect, la conscience de la grandeur de Dieu, nous empêchent de prononcer spontanément ces mots si forts et qui nous impliquent tant. Et par le fait même, ils repoussent loin de nous ce Dieu qui veut se faire si proche.

On a beaucoup critiqué l’image de Dieu véhiculée par les psaumes, mettant en avant un anthropomorphisme jugé dépassé. Mais comment dire Dieu en dehors des réalités humaines qui permettent de le saisir ? Si Dieu a des yeux, c’est pour voir la misère de son peuple ; s’il a des oreilles, c’est pour entendre sa supplication ; et s’il a une bouche, c’est pour lui répondre et lui parler ; s’il a des mains, c’est pour façonner, construire, défendre, bercer, caresser, porter ; s’il a des pieds, c’est pour marcher à nos côtés. Le Dieu du psalmiste n’est pas un Dieu abstrait, dans les nuages, lointain ; il est un Dieu présent, proche, intime, un Dieu qui fait alliance et cherche notre amitié.

Un chemin vers le pardon

Bien sûr, on peut être choqué par les versets dits imprécatoires, et que la liturgie a fait pudiquement disparaître, où l’on demande à Dieu d’anéantir nos ennemis : « Mais ceux qui pourchassent mon âme, qu’ils descendent aux profondeurs de la terre, qu’on les passe au fil de l’épée, qu’ils deviennent la pâture des loups ! » (Ps 62,10-11), « O Babylone misérable, heureux qui saisira tes enfants, pour les briser contre le roc ! » (Ps 136,9). Pourtant, ces versets nous disent deux choses ; la première, c’est que le psalmiste est bien patient, qu’il ne se venge pas, mais qu’il attend de Dieu, dans la confiance, ce qu’il considère être la justice. La deuxième, c’est que le « méchant » (celui qui se moque de Dieu, ou qui l’utilise) travaille à sa propre perte en s’en prenant au « juste » (l’homme qui aime Dieu), puisque, finalement, c’est Dieu qui aura le dernier mot.

Mais ce réalisme de la lutte contre les « ennemis » nous rappelle fort opportunément celle que le Christ a menée et dont il est sorti vainqueur. Ce combat spirituel se poursuit aujourd’hui dans notre vie, et la ligne de démarcation ne passe pas entre un groupe et un autre, mais bien à l’intérieur de chacun de nous. L’ennemi que nous demandons à Dieu d’anéantir, c’est le mal qui habite notre propre cœur, la part de nous qui résiste à Dieu. Et lorsqu’il nous arrive de dire ces versets en pensant à une personne particulière (cela arrive, hélas), n’oublions pas que Dieu punit le pécheur en l’aimant davantage, et qu’il « fait mourir » le méchant en pardonnant, c’est-à-dire en effaçant sa méchanceté. Et de fait, chaque fois que je pardonne à celui qui m’a fait du mal, je fais mourir l’ennemi que je voyais en lui …

Il y a dans ces textes si anciens quelque chose d’étonnamment contemporain ; la violence décrite ressemble à celle de notre monde aujourd’hui, et l’espérance du psalmiste en la justice de Dieu rejoint le cri de bien des opprimés modernes. Si nous avons la chance de ne pas faire partie de ces hommes traqués, affamés, torturés, qui luttent chaque jour pour leur survie, du moins pouvons-nous, grâce aux psaumes, faire nôtre leur détresse et leur espérance. Et si nous ne savons plus voir Dieu à l’œuvre dans nos vies, les psaumes mettent sur nos lèvres les mots de la louange et de la bénédiction. Ils sont, au plus haut point, une véritable prière universelle.

Image par Christina Lindl de Pixabay 

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