1515 – tous les Français connaissent cette date, même si on ne sait pas toujours à quoi elle correspond exactement. La victoire de François Ier à Marignan ouvre la porte à la Renaissance en France. Un peu partout en Europe, l’invention de l’imprimerie démocratise (relativement) la lecture et le savoir. En Espagne, on s’installe dans le Siècle d’Or : la prise de Grenade a clôturé la Reconquista, Cristóbal Colón a découvert par hasard un quatrième continent, et Charles de Habsbourg s’apprête à monter sur le trône de Castille, avant de prendre la tête du Saint-Empire romain germanique en 1519 sous le nom de Charles Quint.
C’est en cette année 1515 que naît la petite Teresa Sánchez de Cepeda Dávila y Ahumada, dans la ville d’Avila en Castille. Initiée par sa mère à la lecture des romans de chevalerie, elle rêve d’être, à l’instar de ses neuf frères, conquistador. Elle fait preuve très tôt d’un tempérament de feu, puisqu’à 7 ans elle s’enfuit avec son frère, de quatre ans plus âgé, pour aller combattre les Maures, dans l’espoir d’y trouver le martyre. Lorsque son oncle les rattrape à environ un kilomètre des murailles d’Avila, elle expliquera sa fuite en disant simplement : « Je veux voir Dieu ». Plus tard, elle écrira : « En voyant les supplices que les saintes enduraient pour Dieu, je trouvais qu’elles achetaient à bon compte le bonheur d’aller jouir de lui, et j’aspirais à une mort si belle de toute l’ardeur de mes désirs. » Ben voyons ! Cet épisode nous en dit long sur celle qui sillonnera l’Espagne pour fonder des monastères, tout en écrivant de véritables traités d’oraison et de vie intérieure. Quand on sait qu’elle avait une santé plutôt précaire, et qu’elle a été malade au point qu’on avait déjà creusé sa tombe, on mesure l’exploit.
Nada te turbe, nada te espante
Mais tout est démesuré dans la vie de Thérèse d’Avila. Belle jeune femme de 20 ans, coquette et intelligente, elle décide malgré tout d’entrer au Carmel de l’Incarnation à Avila. À l’époque où on arrange les entrées au couvent comme on arrange les mariages, elle passe plus de temps au parloir qu’à la chapelle. Mais après 20 ans de vie mondaine au couvent, la contemplation d’une image du Christ souffrant, ainsi que la lecture de Saint Augustin, l’incite à changer ses manières. Elle-même parle de conversion. Dès lors, dévorée du désir de Dieu, elle met les bouchées doubles dans l’oraison, et est rapidement gratifiée de grâces étonnantes : extases, visions, et tutti quanti.
Démon ? Hérésie ? Elle-même troublée par ces expériences mystiques, elle s’appuiera toujours avec une grande obéissance sur les recommandations de ses différents Pères spirituels. Elle sait bien que ces expériences ne sont pas une preuve de sainteté, elle qui avait écrit au sujet de ses premières années au Carmel : « Pour Vous venger de mes fautes, Vous m’inondiez de délices ! Me voir comblée de nouvelles faveurs, quand je répondais si mal à celles que j’avais reçues, était pour moi un tourment bien terrible ! »
Quien a Dios tiene nada le falta
Pour fuir le laxisme ambiant, elle parvient non sans peine à fonder, en 1562, le petit couvent Saint Joseph, où elle vivra pendant 5 ans selon une vie plus proche de la règle primitive des ermites du Mont Carmel : austérité, pauvreté, isolement, silence. Les chaussures, notamment, sont remplacées par des sandales, leur donnant ainsi l’appellation de « Carmélites déchaussées ».
Appelée à essaimer sa réforme du Carmel, elle parcourra l’Espagne du sud au nord pendant 20 ans pour fonder des monastères (17 en tout). Outre de nombreuses tribulations, oppositions, voire persécutions, elle rencontrera aussi un jeune Carme de 27 ans son cadet, le Frère Juan de la Cruz, dont elle fait son confesseur et qui sera le réformateur de la branche masculine du Carmel. Si à son époque elle eut des démêlés avec l’Inquisition, au XXe siècle ce sont les psy de tout poil qui se sont intéressés à son cas. Hystérique, épileptique, tout a été dit à son sujet ; n’empêche que pour une foldingue hautement « perchée », elle fait montre d’un sens des affaires et d’un esprit pratique étonnants, comme en témoignent ses nombreux écrits, qui sont loin d’être délirants mais au contraire bien structurés et remplis d’humour.
« Anxieuse de te voir, je désire mourir » écrivait-elle. Elle sera exaucée dans la nuit du 4 au 15 octobre 1582, alors que le monde catholique passait du calendrier julien au calendrier grégorien (ce qui entraînait la suppression d’une dizaine de jours). Jusqu’au bout, Thérèse reste une femme de caractère !