L’Église catholique fête aujourd’hui la solennité de la Toussaint, c’est-à-dire tous les saints connus et inconnus. Une bonne occasion de nous interroger sur ce culte des saints que certains nous reprochent parfois de pratiquer …
Et d’abord qu’est-ce qu’un saint ?
Mettons tout de suite les choses au clair : Dieu seul est saint. Et son plus grand désir, c’est que nous le soyons aussi ! Saint Paul l’affirme : « Dieu nous a choisis, dans le Christ, avant la fondation du monde, pour que nous soyons saints, immaculés devant lui, dans l’amour » (Ep 1,4). La sainteté, c’est l’union au Christ à laquelle tous les baptisés sont appelés. Oui, tous ! Vous aussi ! Un saint, c’est simplement quelqu’un qui a réussi à répondre à sa vocation de baptisé. Pas besoin de faire des choses extraordinaires, d’avoir de grands élans mystiques, ou d’écrire des traités de théologie.
Bon, être uni au Christ, ça suppose quand même une certaine pratique de la charité : l’amour de Dieu par-dessus toute chose, et l’amour du prochain en prime. Ce n’est cependant pas un label de perfection, au sens où toute la vie du saint serait impeccable, nickel chrome, sans un poil qui dépasse. Pourtant, me direz-vous, Jésus lui-même a dit : « Soyez parfait comme votre Père céleste est parfait ! » (Mt 5, 48) Catastrophe ! Comment faire ?
Le mot grec utilisé par Jésus est teleios, qui signifie amené à ses fins, à qui rien ne manque pour être complet. Être parfait, c’est donc être accompli, c’est aller jusqu’au bout de son être, c’est devenir ce qu’on est appelé à être de toute éternité (avant la fondation du monde) : un saint !
Sainte Thérèse de Lisieux n’a pas fait grand-chose de son vivant (elle a fait beaucoup plus après sa mort !), mais elle s’est laissée faire par Dieu, elle s’est laissée habiter totalement par son amour pour Jésus : « L’ascenseur qui doit m’élever jusqu’au ciel, ce sont vos Bras, ô Jésus ! Pour cela, je n’ai pas besoin de grandir, au contraire, il faut que je reste petite, que je le devienne de plus en plus. » (Ms C)
Le martyrologe romain
Certains saints sont reconnus officiellement par l’Église : ce sont les saints canonisés. L’Église nous les donne en exemple, non pas pour que nous fassions exactement la même chose qu’eux (chacun est unique), mais plutôt comme des « frères ainés » sur qui nous pouvons compter, et qui peuvent nous aider dans notre propre chemin de sainteté.
La liste de tous les saints canonisés forme le martyrologe romain. Il y a de tout : des prêtres, des religieux des religieuses, des martyrs, mais aussi des laïcs, des simples célibataires, des couples mariés (et canonisés en raison de leur vie conjugale exemplaire), des enfants, des jeunes, des vieux … Ils sont des exemples de l’appel universel à la sainteté sur lequel le Concile Vatican II a beaucoup insisté : « Tous les fidèles donc sont invités – et même tenus – à rechercher la sainteté et la perfection de leur état » (LG 5).
Un long chemin
Dans les premiers siècles, la canonisation venait d’un élan populaire, par acclamation de l’assemblée ou par dévotion spontanée : vox populi, vox Dei. À partir de la fin du Moyen-âge, l’Église va peu à peu encadrer la procédure de reconnaissance officielle par un procès en canonisation. Comme pour une affaire criminelle, il y a d’abord une enquête diocésaine, avec constitution d’un dossier rassemblant la biographie du « serviteur de Dieu » (c’est le terme consacré pour désigner le candidat), tous les témoignages de ceux qui l’ont connu, et tout ce qu’il a écrit, y compris sa correspondance privée (quand j’ai appris ce détail, j’ai cessé d’écrire !). Tout cela est examiné par des théologiens et soumis à l’évêque, qui s’il le juge bon, transmettra la cause à Rome, à la Congrégation pour la cause des saints.
C’est devant ce collège de cardinaux et d’évêques qu’a lieu le procès, qui voit s’affronter la défense (le postulateur de la cause) et l’accusation (le fameux avocat du diable, aujourd’hui renommé promoteur de justice). Ce collège va finalement prononcer « l’héroïcité des vertus », par un décret qui fait du serviteur de Dieu un « vénérable ». Il faut encore un miracle pour que le vénérable puisse être déclaré bienheureux. Pourquoi un miracle ? Parce que c’est le critère objectif qui prouve que la personne est auprès de Dieu et que son intercession est « efficace » (ce n’est pas le saint qui fait le miracle, c’est Dieu, par son intercession). Pas de miracle nécessaire pour le martyr qui a été tué « en haine de la foi »: on considère que là, pour le coup, il était vraiment uni au Christ ! Paradoxalement, la profusion des miracles ou des phénomènes extraordinaires du vivant de la personne a tendance à ralentir le processus, déjà long, de béatification : l’Église se méfie du merveilleux et préfère, du moins depuis quelques décennies, mettre en avant des saints « ordinaires ».
C’est le Pape qui décide de la béatification ; le nouveau bienheureux peut alors faire l’objet d’un culte par l’Église locale. Pour la canonisation, rebelote : nouveau dossier, nouveau procès, nouveau miracle. La canonisation ouvre le culte du saint à l’Église universelle.
Vénération n’est pas adoration
Attention : le culte des saints consiste à les vénérer (les traiter avec respect) et à les invoquer (demander leur intercession). Il n’est nullement question de les adorer, car l’adoration s’adresse exclusivement à Dieu : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme et de toutes tes forces. » Adorer Dieu est un commandement (c’est même le premier), alors que la vénération des saints est tout à fait facultative : ils sont un exemple, une aide à nos côtés, sans plus.
Tous les saints ne font pas l’objet d’une canonisation. Si le martyrologe en reconnaît plus de 10 000, on peut espérer qu’ils sont beaucoup plus nombreux au Ciel ! Ils y forment l’Église triomphante et intercèdent auprès de Dieu pour l’Église d’ici-bas (l’Église militante) ainsi que pour les défunts au Purgatoire (l’Église souffrante). Cette solidarité, c’est ce qu’on appelle la communion des saints dont parle le Credo.
Bonne fête à tous !
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