Abraham (4) : L’hospitalité

Abraham a maintenant 99 ans ; Dieu a inscrit l’Alliance dans sa chair (la circoncision), mais de descendant, point. Dieu aurait-il oublié sa promesse ? Non, car voici que deux événements importants vont se produire.

N’oubliez pas l’hospitalité

Il est midi, et Abraham somnole doucement à l’entrée de sa tente, près du chêne de Mambré. À l’heure la plus chaude du jour, c’est ce qu’il y a de mieux à faire dans ces contrées. Et voilà que trois hommes sont debout devant lui. D’où viennent-ils ? Où vont-ils ? Nul ne sait.

Abraham leva les yeux, et il vit trois hommes qui se tenaient debout près de lui. Dès qu’il les vit, il courut à leur rencontre depuis l’entrée de la tente et se prosterna jusqu’à terre. Il dit : « Mon seigneur, je t’en prie, si j’ai trouvé grâce à tes yeux, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur. Qu’on apporte un peu d’eau, vous vous laverez les pieds et vous vous étendrez sous l’arbre. Que j’aille chercher un morceau de pain et vous reprendrez des forces avant d’aller plus loin ! »

Premier écueil : les trois hommes sont debout devant lui, et pourtant il court à leur rencontre. Deuxième écueil : ils sont trois, et Abraham dit « tu ». D’ailleurs, le texte oscille sans cesse entre le singulier et le pluriel : un coup un, un coup trois ; au chapitre suivant ils ne sont plus que deux, et ce ne sont plus des hommes mais des anges. Bref, il ne s’agit pas d’une rencontre comme les autres ; le premier verset nous avait prévenus : « Dieu lui apparut au Chêne de Mambré ». Mais Abraham ne sait pas qu’il s’agit de Dieu, et il offre l’hospitalité comme tout bon oriental doit le faire. Dans les pays de pauvreté et de précarité, l’hospitalité est un devoir et une nécessité : tout le monde doit la pratiquer, car tout le monde peut y avoir recours. L’invité est sacré, il a droit à la meilleure part et doit être protégé de tout danger.

Abraham se met donc en quatre pour accueillir ses hôtes : il court dire à Sarah de préparer du pain, il court au troupeau choisir un veau gras et tendre, que le serviteur se hâte de préparer : il y a urgence à accueillir. Malgré tout, tuer le veau et le préparer a dû prendre quand même quelques heures (ils n’avaient pas de cuisinière à induction) : il faut croire que les invités n’étaient pas pressés ! Mais si l’hospitalité est un devoir, l’attente en est un aussi : pas question de s’éclipser tant que le repas n’a pas été servi, même si cela prend des heures (c’est encore le cas dans bien des pays d’Afrique).

Le rire de Sarah

Alors que les visiteurs commencent à pique-niquer sous l’arbre, la conversation s’engage, et Dieu (puisqu’il s’agit de lui) annonce à Abraham que dans un an Sarah aura un fils. Des promesses, toujours des promesses ! À 90 ans, ça la fait bien rigoler !

Le Seigneur Dieu dit à Abraham : « Pourquoi Sarah a-t-elle ri, en disant : “Est-ce que vraiment j’aurais un enfant, vieille comme je suis ?” Y a-t-il une merveille que le Seigneur ne puisse accomplir ? Au moment où je reviendrai chez toi, au temps fixé pour la naissance, Sara aura un fils. » Sara mentit en disant : « Je n’ai pas ri », car elle avait peur. Mais le Seigneur répliqua : « Si, tu as ri. »

Sarah rit, comme avait ri Abraham à la même promesse (Ge 17, 17). Mais la promesse de Dieu, c’est du sérieux ! « Rien n’est impossible à Dieu ! » dira plus tard l’ange Gabriel à Marie en lui annonçant la grossesse de sa cousine Élisabeth, elle aussi déjà bien âgée. Alors Sarah prend peur : accueillir la promesse, c’est accepter d’être dépassé par elle. Mais Dieu est la vie, et là où la vie n’est pas accueillie, c’est la mort qui vient.

Le péché de Sodome

Voilà que nos visiteurs se décident à partir et se dirigent vers Sodome, Abraham fait un bout de chemin avec eux, comme il est de coutume.

Le Seigneur s’était dit : « Est-ce que je vais cacher à Abraham ce que je veux faire ? Car Abraham doit devenir une nation grande et puissante, et toutes les nations de la terre doivent être bénies en lui. »

Touchant monologue intérieur de Dieu ! Il a fait d’Abraham non plus son serviteur, non plus seulement un élu, mais un ami, et pour tout dire un confident ! Alors il le met dans la confidence : « Comme elle est grande, la clameur au sujet de Sodome et de Gomorrhe ! Et leur faute, comme elle est lourde ! Je veux descendre pour voir si leur conduite correspond à la clameur venue jusqu’à moi. »

Quelle est donc la faute de Sodome ? « Orgueilleuse, repue, tranquillement insouciante ; elle n’a pas secouru le pauvre et le malheureux, elle est devenue prétentieuse » dira le prophète Ezéchiel (Ez 16, 49). Pourquoi ? Parce que la terre est fertile, la nature est propice et la ville est riche ; pas de précarité, pas besoin d’un Dieu à implorer pour vivre dans le bien-être, on devient hostile à tout sentiment religieux qui apparaîtrait comme une privation de liberté. Ça ne vous rappelle rien ? Le récit biblique est étrangement actuel … Alors soyons attentifs, car la suite nous concerne.

Marchands de tapis

Ici, le péché de Sodome va se cristalliser sur le manque d’hospitalité, comme pour mieux faire ressortir celle d’Abraham le Juste (l’hospitalité, c’est la paix). Le dialogue qui suit est à lire avec l’accent juif ou pied-noir, car il s’agit d’un véritable marchandage :

Abraham s’approcha et dit : « Vas-tu vraiment faire périr le juste avec le coupable ? Peut-être y a-t-il cinquante justes dans la ville. Vas-tu vraiment les faire périr ? Ne pardonneras-tu pas à toute la ville à cause des cinquante justes qui s’y trouvent ? Loin de toi de faire une chose pareille ! » Le Seigneur déclara : « Si je trouve cinquante justes dans Sodome, à cause d’eux je pardonnerai à toute la ville. »

Et le marchandage se poursuit : S’il y en a 45 ? – Je ne détruirai pas. – S’il y en a 40 ? – Je ne détruirai pas. – 30 ? – Je ne détruirai pas. – 20 ? – Je ne détruirai pas. – 10 ? – Je ne détruirai pas à cause des dix.

Des marchands de tapis ! Coupez-leur les mains et ils ne peuvent plus parler ! Mais au-delà du côté savoureux de la scène, le récit nous apprend deux choses. La première, c’est que 10 justes pèsent plus lourd dans la balance de la miséricorde que toute une ville : c’est rassurant. La deuxième, c’est que la prière du juste a du prix aux yeux de Dieu, et qu’il l’écoute. « Vais-je cacher à Abraham ce que je veux faire ? Il est mon ami, je lui dis tout ! » Dieu espérait qu’Abraham allait intercéder, c’est même pour ça qu’il lui a confié son projet : ce que Dieu attend de ses amis, c’est qu’ils intercèdent pour ceux qui ne le sont pas. La mission de l’Élu n’est pas de se sauver tout seul, mais, à travers lui, de réconcilier le monde avec Dieu …

Une pluie de soufre et de feu

Mais il n’y a même pas 10 justes dans Sodome ! Le seul juste, c’est Loth, le digne neveu de son oncle ; lui seul va accueillir les envoyés de Dieu. Et ça lui retombe sur la figure : les habitants de la ville encercle sa maison : « Où sont les hommes qui sont venus chez toi cette nuit ? Fais-les sortir vers nous pour que nous les connaissions. » Il ne s’agit pas là de faire simplement connaissance : le verbe hébreu yada’ est un euphémisme pour désigner les relations sexuelles ; ce qu’ils veulent faire, c’est donc un viol en réunion, une tournante ! Loth ne s’y trompe pas, qui leur propose à la place ses deux filles vierges : jusqu’où peut aller l’hospitalité ! On retrouve d’ailleurs une histoire semblable dans le livre des Juges (Jg 19, 22-25).

Et voilà que les habitants de Sodome s’attaquent à Loth : « Comment ? Toi tu es un étranger et tu veux nous faire la leçon ? Tire-toi de là ! » L’étranger est un gêneur, un empêcheur de jouir en rond, de profiter égoïstement de nos richesses et de celles des autres : il faut l’abattre. Vraiment, ça ne vous rappelle rien ?

Loth s’en tire de justesse, et ses visiteurs (les anges de Dieu) lui intiment l’ordre de partir, avec sa famille et tous les siens, car Dieu va détruire la ville. Alors Loth part avec sa femme et ses deux filles. Il se sauve dans la montagne « sans regarder en arrière » selon l’ordre de Dieu.

Le Seigneur fit tomber du ciel sur Sodome et Gomorrhe une pluie de soufre et de feu. Dieu détruisit ces villes et toute la région, avec tous leurs habitants et la végétation.

Que s’est-il réellement passé ? L’hypothèse la plus probable est celle d’un tremblement de terre assorti d’un gigantesque glissement de terrain, très possible dans cette région où le mouvement des plaques tectoniques était déjà à l’origine de la mer Morte. Châtiment de Dieu ou simple coïncidence ? Nous l’avons vu (cf. Le passage de la Mer Rouge), l’action de Dieu ne va pas forcément à l’encontre de la nature : Dieu utilise sa Création et en fait un signe de sa présence. À nous d’interpréter ce signe.

Si toute la population a pu être détruite en quelques minutes, c’est que la ville de Sodome était construite sur un sol instable, certes, mais riche en asphalte, dont le commerce a fait de la ville une cité florissante. Résumons : une société prospère, basée sur le pétrole, orgueilleuse, repue, tranquillement insouciante, égoïste, sans besoin de Dieu, qui repousse l’étranger ou profite de lui … Qui a dit que le Bible était dépassée ?

Image par Dimitris Vetsikas de Pixabay 

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