Sept juillet 1866 ; il fait déjà nuit lorsque se présente à la porte du couvent Saint Gildard, à Nevers, une jeune fille de 22 ans. Petite, chétive, asthmatique, de santé fragile depuis l’enfance, elle prendra le voile quelques jours plus tard sous le nom de Sr Marie-Bernard. Mais dans le monde entier, elle est connue comme Bernadette Soubirous, la voyante de Lourdes.
Le cachot
Aînée de 9 enfants, dont 4 mourront en bas âge, Bernadette grandit péniblement dans une famille extrêmement pauvre de cette petite ville des Pyrénées, qui compte alors dans les 4000 habitants. De déchéance en déchéance, la famille en vient à vivre dans une unique pièce d’à peine 16 m², tristement dénommée « le cachot », une ancienne cellule désaffectée en raison de son insalubrité. Accusé du vol de deux sacs de farine, son père est d’ailleurs brièvement emprisonné, avant d’être relâché faute de preuve et pour cause de misère.
Bernadette ne va qu’épisodiquement à l’école ; à 13 ans, elle est envoyée chez son ancienne nourrice, à Bartrès, pour y garder les enfants, faire le ménage, puiser l’eau, ramasser le bois. Elle aimerait bien faire sa première communion, mais il n’y a plus de prêtre dans le petit village, alors elle revient à Lourdes. Elle est admise à l’école des indigents tenue par les Sœurs de la Charité de Nevers, pour y apprendre au moins le français, car elle ne parle que le patois local. Quelques jours plus tard, sa vie bascule.
Aqueró
Au matin du 11 février 58, Bernadette va avec sa sœur et une amie ramasser du bois pour le chauffage. Elles doivent traverser le Gave, à la hauteur d’un rocher d’une trentaine de mètre que les gens du coin appellent Massavielha, « vieille roche » en occitan. Alors que Bernadette est en train d’enlever ses bas pour passer l’eau glacée, elle entend comme un violent coup de vent ; elle lève les yeux vers une grotte creusée dans la roche, et voit alors une jeune fille d’à peu près son âge et sa taille, vêtue de blanc, qui lui fait signe d’approcher. Mais elle a trop peur ! Paralysée, elle parvient à faire le signe de la croix, puis à dire son chapelet. La jeune fille disparaît.
La suite est connue : Bernadette revient plusieurs fois, et le 18 février Aqueró, « cela », lui demande : « Boulet aoue la gracia de bié aci penden quinze dias ? » Voulez-vous avoir la grâce de venir ici pendant quinze jours ? Personne n’avait jamais vouvoyé Bernadette, ni ne lui avait parlé avec autant de prévenances ! Sans compter que Aqueró (Bernadette ne dira jamais qu’il s’agit de la Vierge Marie) lui parle en patois !
Que soy era Immaculada Counceptiou
Au total, Aqueró apparaîtra 18 fois à Bernadette entre le 11 février et le 16 juillet 1858, ce qui vaudra à la malheureuse adolescente plus d’ennuis qu’autre chose ; elle est soumise à de nombreux interrogatoires, par le curé d’abord, puis par le commissaire, le procureur, l’évêque, etc. Sur l’ordre de Aqueró, elle découvre une source dont la réputation fera le tour du monde …
Le 25 mars enfin, en la fête de l’Annonciation, Aqueró se décide à révéler à Bernadette son nom : « Que soy era Immaculada Counceptiou ». Le dogme de l’Immaculée Conception (Marie conçue sans la trace du péché originel) a été proclamé en 1854, mais Bernadette, qui, à 14 ans, vient seulement de commencer l’école et dont le catéchisme est encore très superficiel, n’a aucune idée de ce que cela peut bien signifier ; alors elle le répète en elle-même, en retournant voir le curé pour lui confier la chose.
Cette année-là, l’évêque de Tarbes avait demandé aux curés du diocèse d’insister, pendant le Carême, sur la prédication, notamment en organisant des « échanges » de curés entre paroisses. Le nombre de paroisses étant impair, une seule n’a pas pu participer aux échanges : celle de Lourdes. Mais la Vierge Marie est venue pallier elle-même l’absence de prédicateur ! Il faut reconnaître qu’en 1858, le Carême à Lourdes fut particulièrement réussi …
Bonne à rien
Au fil des semaines et des mois, les témoignages de guérisons vont commencer à paraître ; les visiteurs vont se presser par milliers, par dizaine de milliers à Lourdes, pour voir Bernadette autant, sinon plus, que pour les apparitions ou les guérisons. On veut une relique, une mèche de cheveux, un vêtement. Pour la préserver de la pression grandissante des pèlerins, on place Bernadette à l’hospice des Sœurs de la Charité de Nevers, plus pour canaliser les visites que pour les réduire. Là, elle apprend le français, à lire et écrire, à coudre et broder. Elle commence aussi à soigner des malades, surtout les plus pauvres vers lesquels elle se sent irrésistiblement attirée. Elle resterait bien là, à l’hospice, toute sa vie, mais pour cela il faut devenir religieuse. Après mûre réflexion, et même si les Sœurs, pour entretenir son humilité, lui rabâche qu’elle n’est « bonne à rien », elle choisit donc de devenir Sœur de la Charité et part faire son noviciat à Nevers. « Je vais à Nevers parce qu’on ne m’y a pas attirée » dit-elle ; elle y mènera la vie ordinaire d’une religieuse ordinaire : « Je suis comme un balai qu’on range dans un placard après s’en être servi ». Souvent malade et alitée, elle mourra de tuberculose en 1879, à l’âge de 35 ans.
L’abbé Pomian, qui l’a préparée à la première communion, aimait à dire : « La meilleure preuve de l’apparition, c’est Bernadette elle-même ». Pourquoi ? Parce qu’elle est simple, un peu naïve, mais solide, calme, obéissante, humble : « Pour qui me prenez-vous ? Je sais bien que si la Sainte Vierge m’a choisie, c’est parce que j’étais la plus ignorante. Si elle en avait trouvé une plus ignorante que moi, elle l’aurait choisie. ». Elle ne déviera jamais dans ces témoignages, ne se contredira pas, en restera aux faits, sans plus. « Une pauvre idiote » dira d’elle Zola quelques décennies plus tard, « une irrégulière de l’hystérie, une dégénérée ». Il était venu enquêter à Lourdes en vue d’écrire un livre sur « une jeune fille passionnante », mais il a été déçu : cette Bernadette est « une simple d’esprit ». Probablement. Une de ces « pauvres en esprit » à qui Jésus a promis le Royaume des Cieux … (Mt 5,3).