La Bible, qu’est-ce que c’est ?

Avec plus de 6 milliards d’exemplaires vendus dans le monde (environ 25 millions chaque année), la Bible est de loin le plus grand best-seller de tous les temps ! C’est d’ailleurs le premier livre que Gutenberg a imprimé en 1452. Mais qu’est-ce que ce vieux bouquin qui fait tant parler de lui et suscite les passions les plus opposées ?

Je ne prétends pas ici faire œuvre d’exégète ni donner un panorama complet de le Bible, mais simplement donner quelques indications pour ceux (nombreux) qui seraient déroutés ou rebutés par ce pavé relativement indigeste.

Et il y a de quoi être dérouté. Par l’épaisseur (plus de 2000 pages écrites en tout petits caractères), le style, les affirmations parfois contradictoires et les récits pas toujours très édifiants qu’on y trouve. Disons-le tout de suite : ça ne se lit pas comme un roman d’Agatha Christie ! Et puis, puisque c’est le livre de référence de si nombreux croyants, on s’attendrait à y trouver une sorte de catéchisme, un exposé des vérités de foi, ou une méditation sur Dieu. Que nenni ! Au lieu de tout cela, que lit-on ? Des histoires souvent invraisemblables ou rocambolesques, des chansons, des livres d’histoire, des séries de chiffres (plus rébarbatif, tu meurs !), un poème d’amour, des recueils de proverbes …

Une histoire sainte

Car la Bible est d’abord une Histoire sainte, l’histoire du peuple d’Israël, et du peuple des croyants à sa suite. Essayez donc d’écrire votre propre histoire : par où allez-vous commencer ? Votre naissance ? Votre enfance ? Suivrez-vous un ordre chronologique, avec le risque d’inévitables retours en arrière pour ajouter une précision, une anecdote significative ? Peut-être d’ailleurs n’y aura-t-il que des anecdotes, de ces petites histoires qui font la grande histoire ! Ou bien allez-vous commencer par décrire ce que vous êtes aujourd’hui et raconter comment vous en êtes arrivé là ? Vous voyez que ce n’est pas si simple ! Et puis, raconter sa propre histoire est forcément subjectif : on ne voit qu’avec ses propres yeux (c’est, littéralement, notre « point de vue ») !

Maintenant, deuxième exercice, essayez d’écrire votre histoire sainte, c’est-à-dire votre histoire à la lumière de votre foi, de votre rencontre avec Dieu. Là, le point de vue n’est plus le même : il y aura de grands oublis, et des mises en lumière de détails apparemment insignifiants. Des personnages secondaires prendront la première place, et des « chefs » passeront aux oubliettes. Vous aurez du mal à écrire dans l’ordre chronologique, même si une recomposition après coup donnera à votre récit un peu plus de cohérence.

Troisième exercice : essayez de livrer un panorama de votre histoire sainte à partir de données déjà existantes, écrites au fur et à mesure, et pas forcément dans le but de raconter : votre faire-part de naissance, ceux de vos enfants, le livret de chant de votre mariage, etc.

Et bien, pour la Bible, c’est pareil ! Sauf que là, l’histoire s’étend sur plus de mille ans, et qu’elle est écrite par des dizaines d’auteurs différents. Et ce n’est pas l’histoire d’une personne, mais d’un peuple confronté (affronté, parfois) à son Dieu.

On comprend mieux alors l’aspect déroutant du livre. D’abord il ne s’agit pas d’un livre, mais d’un ensemble de livres, d’une bibliothèque en quelque sorte. Et l’on y trouve un récit chronologique (les livres des Juges, des Rois, etc.), un faire-part de naissance (les premiers chapitres du livre de la Genèse), une généalogie (le livre des Nombres), une lettre d’amour (le Cantique des cantiques), des poèmes (les Psaumes), des anecdotes (les livres de Jonas, de Ruth, d’Esther, etc.), des remises en question (les Prophètes), etc. Et dans le Nouveau Testament, beaucoup de courrier !

Alors quelle est la part de vérité historique dans tout ça ? Si l’on entend par « vérité historique » un reportage écrit au jour le jour et au plus près de l’événement, une photographie, on en est loin. Mais nous savons que même la plus précise des photographies est susceptible d’être retouchée, « photoshopée », manipulée. Et une photographie est souvent figée, elle ne reflète que rarement la dynamique intérieure de l’être ; pour cela, un tableau peint peut être plus réaliste.

Mais peu importe après tout que tout ne soit pas rigoureusement exact dans les « livres historiques », que ces livres fassent parfois la part belle à l’imaginaire, au mythe, ou s’appuient sur des récits dont l’authenticité est douteuse. C’est d’ailleurs le fait de tous les historiens de l’Antiquité. Ce qui compte, c’est le fil conducteur de toute la Bible : la conviction profonde que l’être humain, quels que soient son époque et son milieu, les particularités de sa vie ou son intelligence, ne peut connaître Dieu que dans la réalité de sa propre histoire. Dieu est esprit, certes, mais l’homme non, et si Dieu veut se révéler à lui, il ne peut le faire que dans cette réalité historique, jusque dans cet événement extraordinaire et caractéristique du christianisme : l’incarnation de Dieu en Jésus.

Et Dieu sait si on change au cours d’une vie ! Notre représentation du monde n’est pas la même à 3 ans, 10 ans, 20 ans ou 50 ans. Aux soirs de lassitude et de défaite, il peut nous arriver de dire exactement l’inverse de ce que nous proclamions avec tant d’assurance aux heures glorieuses de l’adolescence. Et c’est pourtant bien toujours la même personne qui parle et qui se dit, et qui cherche à comprendre les méandres de son propre cœur, et qui ne fera que tâtonner jusqu’à ce que soit levé le voile qui la sépare de sa propre vérité. Tant il est vrai qu’il faut toute une vie pour devenir ce que l’on est …

Raconte-moi une histoire

Avant d’être écrite, la Bible a d’abord été racontée. Pourquoi ? Parce que la civilisation de l’écrit est relativement récente : l’écriture ne s’est réellement répandue qu’avec l’imprimerie ; auparavant, elle était réservée à une élite. Dans l’Antiquité, elle servait surtout à suppléer la mémoire pour le commerce et l’élaboration des lois. Tout le reste était transmis oralement, de décennies en décennies, dans un langage que le rythme et les assonances permettaient de mémoriser plus facilement, c’est-à-dire souvent sous forme de chants, sentences, discours et poèmes épiques. On en trouve des traces dans certains livres de la Bible : le cantique de Moïse, les cycles de Jacob ou de Joseph, le marchandage d’Abraham, etc. Certaines « histoires » relevaient probablement de la simple culture populaire, sans nécessité religieuse, et ont été par la suite sacralisées en vue d’édifier. Elles sont le fruit de traditions familiales ou tribales diverses : il y avait douze tribus en Israël, et de nombreux sanctuaires, avec chacun leurs coutumes, leurs hymnes, etc. Elles sont aussi le fruit d’une culture ambiante, celle du Proche Orient, c’est pourquoi certains récits de la Genèse rappellent étrangement les mythes cosmogoniques circulant ailleurs dans la Mésopotamie de l’époque. Ces mythes, dans leur tentative de donner une explication au monde, se servaient des connaissances du temps, qui étaient limitées, et ne cherchaient pas tant à dire le comment que le pourquoi (et même le pour quoi), ce que nos scientifiques modernes, avec toutes leurs techniques, sont toujours incapables de formuler.

La mise par écrit s’est donc accompagnée d’un travail de collection et d’harmonisation de ces différentes traditions, c’est pourquoi on trouve par exemple des appellations différentes de Dieu (Yahvé, Elohim) ; d’autant plus que ce travail n’a pas été l’œuvre d’une seule personne, mais d’écoles diverses, et ce sur plusieurs siècles. Ne rêvons donc pas : les traditions orales originelles sont perdues définitivement, comme se sont tues les voix qui les portaient. Ce qui nous en reste, c’est ce que « l’écrivain sacré » a estimé être utile à l’édification et la sanctification des générations à venir.

D’ailleurs tout ne relève pas de la tradition orale dans la Bible. Un Jérémie n’a peut-être pas mis lui-même par écrit ses prophéties, mais le disciple qui lui servait de secrétaire a bien fait son boulot. Et les écrits plus tardifs, comme les Chroniques, ne sont qu’une relecture des livres de Samuel et des Rois. Quant au livre des Proverbes, on y trouve un certain nombre de sentences d’une banalité affligeante qui prouvent qu’Israël était bien enraciné dans la culture de son temps ; mais on y trouve aussi une doctrine sur la Sagesse personnifiée qui est comme un avant-goût du prologue de l’évangile de Jean …

C’est donc tout cela qu’il faut avoir en mémoire quand on ouvre la Bible, quand on appréhende ce texte écrit par des hommes et pourtant proclamé comme Parole du Seigneur : ce sont des mots pour dire un mystère. Les mots peuvent changer de sens, mais le mystère demeure : celui de l’amour fou d’un Dieu pour sa créature. La Bible, c’est la vie des hommes avec les mots de Dieu ; c’est l’amour de Dieu avec les mots des hommes …

Images © Elisée

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