La messe chrismale : Autour des huiles

S’il est une célébration qui est le symbole de la vie diocésaine, c’est bien la messe chrismale, qui rassemble autour de l’évêque tout son presbyterium (ensemble des prêtres et des diacres), mais aussi les religieux et religieuses, et les consacrés de tout poil, et bien sûr tous les fidèles qui le souhaitent. Comme elle a lieu à la cathédrale et que le nombre de places est restreint, il faut parfois jouer un peu des coudes, et surtout arriver bien avant l’heure. Mais ça en vaut la peine !

Onction de joie

La messe chrismale tire son nom du grec chrisma signifiant onction ; dans l’Ancien Testament, une onction d’huile parfumée était donnée à toute personne ou objet consacrés (mis à part) pour le service de Dieu : les sacrificateurs, les objets servant au sacrifice, éventuellement les prophètes (Élisée, par exemple, en 1 R 19,16). La composition de l’huile pour l’onction est définie en détail en Ex 30, 23-24 : de la myrrhe (connue déjà pour ses propriétés antiseptique et anti-inflammatoires), du cinnamome aromatique (dont l’écorce fournit la cannelle), le roseau aromatique (aux nombreuses propriétés médicinales) et de la casse (symbole de beauté). Le tout est mélangé dans de l’huile d’olive : nourriture, éclairage, remède, fortifiant, l’huile est porteuse de guérison, de santé, de beauté ; elle est aussi appliquée sur le corps des lutteurs avant le combat ; pénétrant tout, elle est indélébile. C’est pourquoi elle marque ce qui est irréversible : la consécration des prêtres et des rois. Si Jésus est déclaré Christ, oint (mashia’h en hébreu, messie), alors qu’il n’était ni prêtre (de la descendance d’Aaron) ni roi, c’est parce qu’il est devenu le prêtre d’une alliance nouvelle, en offrant le sacrifice parfait.

Lors de la messe chrismale, donc, l’évêque va consacrer le saint chrême, c’est-à-dire le mélange d’huile et de baume qui servira tout au long de l’année pour les confirmations (signe principal), les baptêmes et les ordinations (signe secondaire), et les consécrations d’église ou d’autel. Le saint chrême est parfumé : le chrétien baptisé doit être « la bonne odeur du Christ » (2 Co 2,15). L’évêque va aussi bénir d’autres huiles, l’huile des malades (pour le sacrement des malades) et l’huile des catéchumènes (qui fortifie ceux qui seront baptisés à Pâques, quelques heures avant leur initiation), qui, elles, sont de l’huile d’olive pressée à froid. Ces trois huiles sont contenues dans de grandes jarres en argent, étain ou verre, pour être bien visibles par tous ; après la messe, elles seront réparties dans des flacons plus petits, pour chaque paroisse.

Soyons clairs : l’huile elle-même, que ce soit celle des malades, des catéchumènes ou le saint chrême, n’a aucun pouvoir guérisseur ou autre (surtout qu’on n’en applique pas des litres). Ce qui donne la force, c’est la bénédiction dont elle est porteuse, la prière du prêtre et la foi du fidèle. L’onction d’huile est le signe de l’onction de l’Esprit Saint, le signe visible d’une réalité invisible ; mais la parole qui l’accompagne est performative (comme lorsqu’on dit « la séance est ouverte ») : le sacrement (« un geste qu’une parole accompagne » d’après Eph 5,26) accomplit ce qu’il dit.

Fête (faites ?) des prêtres

La messe chrismale, c’est aussi, depuis 1969, la fête du sacerdoce. Ce jour-là, tous les prêtres du diocèse sont invités à concélébrer autour de leur évêque et à renouveler l’engagement de leur ordination. La procession d’entrée de tout le presbyterium, les jeunes, les vieux, les infirmes, les éclopés, ceux qui sont sûrs d’eux et ceux qui doutent, ceux qui chantent et ceux qui se taisent, venus des quatre coins du diocèse, a quelque chose de très émouvant. Et que dire du renouvellement de leurs promesses, lorsqu’ils répondent d’une seule voix « oui, je le veux » aux questions de l’évêque ? Juste après, l’évêque se tourne vers l’assemblée des fidèles et lui demande sa prière : « Et vous, mes frères, priez pour vos prêtres : que le Seigneur répande sur eux ses dons en abondance, afin qu’ils soient les fidèles ministres du Christ souverain Prêtre, et vous conduisent à lui, l’unique source du Salut ». Manière de rappeler que le prêtre n’est jamais ordonné pour lui-même, mais toujours au service d’une communauté. Après la messe, l’évêque et son presbyterium fêteront ensemble, autour d’un bon repas, leur joie d’être consacrés. C’est pourquoi cette messe, qui normalement devrait avoir lieu le Jeudi saint au matin, est parfois célébrée la veille ou l’avant-veille, pour permettre aux prêtres d’être dans leur paroisse pour la célébration de la Sainte Cène.

C’est pourquoi aussi les textes de ce jour vont tous tourner autour de la consécration sacerdotale et de l’onction de l’Esprit : « L’esprit du Seigneur Dieu est sur moi parce que le Seigneur m’a consacré par l’onction » (Is 61,1) ; « J’ai trouvé David, mon serviteur, je l’ai sacré avec mon huile sainte » (Ps 88), « Il a fait de nous un royaume et des prêtres » (Ap 1,6). Et l’évangile reprend la prophétie d’Isaïe de la première lecture avec ce commentaire de Jésus : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture que vous venez d’entendre » (Lc 4,21). Mais qu’on ne s’y trompe pas : ces lectures ne s’adressent pas seulement aux ministres ordonnés, mais à tous les fidèles ; tous les baptisés sont consacrés par l’onction, et la mission que reçoit Isaïe représente le sacerdoce de tout le peuple : « Annoncer la bonne nouvelle aux humbles, guérir ceux qui ont le cœur brisé, proclamer aux captifs leur délivrance, aux prisonniers leur libération, consoler tous ceux qui sont en deuil » (Is 61,1-2)

Consacrés pour témoigner

Grand moment de la vie de l’Église, la messe chrismale n’est pourtant pas (ou ne devrait pas être) une sorte d’entre soi, une bulle en dehors de nos vies.  Le saint chrême nous rappelle notre propre consécration de baptisés, il est le signe de la force de l’Esprit Saint qui nous a été donné lors de notre confirmation, et qui nous a envoyés pour que « nous soyons pour le monde les témoins de l’Évangile de Salut » (oraison d’ouverture). L’huile des catéchumènes nous redit l’appel de Paul : « Comment l’invoquer, si on n’a pas mis sa foi en lui ? Comment mettre sa foi en lui, si on ne l’a pas entendu ? Comment entendre si personne ne proclame ? » (Ro 10,14) ; pas de catéchumènes sans chrétiens témoins du Christ ! Quant à l’huile des malades, elle affirme la fraternité des croyants autour des malades qui en seront marqués, contre la souffrance et l’isolement : « L’évêque qui bénit cette huile nous envoie comme ceux qui renversent les murs de la solitude » (homélie de Mgr Albert Rouet, messe chrismale 2002).

C’est dire si cette messe nous incite à sortir, à aller vers les autres, vers le monde, sans crainte puisque nous sommes marqués du sceau de l’Esprit Saint. La prière consécratoire sur le saint chrême demande au Père avec vigueur : « Pénètre [cette huile] de la force de l’Esprit Saint, dont tu as imprégné, pour ton service, prêtres, rois, prophètes et martyrs ». Oups ! L’Ancien Testament ne faisait pas référence au martyre ; mais il est vrai que nous sommes à la veille du triduum pascal, au cours duquel Jésus va donner sa vie. Le fait d’ailleurs que la messe chrismale soit célébrée durant la Semaine Sainte n’est pas anodin : le saint chrême nouvellement consacré sera utilisé pour la première fois lors de la vigile pascale, pour donner le sacrement de confirmation aux adultes qui, ce soir-là, auront été plongés dans la mort et la résurrection du Christ. Consacrés pour témoigner, donc, comme le redit la prière après la communion : « Nous t’en supplions, Seigneur, toi qui refait nos forces par tes sacrements, donne-nous d’être, au milieu des hommes, un signe qui les attire vers le Christ. »

Image par Marina Pershina de Pixabay 

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