Les Rameaux : De gloire en gloire !

Quarante jours exactement après le mercredi des Cendres, nous faisons mémoire de l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem ; quelques jours après, il y sera crucifié, sous les huées de ces mêmes foules qui l’acclamaient. La liturgie va nous faire vivre en raccourci ce retournement douloureux (une conversion à l’inverse, en quelque sorte).

L’entrée en gloire

La messe des Rameaux et de la Passion (c’est son titre complet depuis la réforme liturgique de 1965) commence à l’extérieur de l’église, par la bénédiction des rameaux que les fidèles ont amenés : ils les placeront ensuite sur les crucifix de leur maison, jusqu’au Carême de l’année suivante, en signe d’espérance et de fécondité. Cette messe est la plus fréquentée de l’année, avant Pâques ou Noël, et beaucoup viennent chercher là une bénédiction et une protection. Superstition ? Grigri contre les esprits mauvais ? Peut-être pour certains ; mais après tout, lors de la première Pâque, en Égypte, l’ange exterminateur est bien « passé au-dessus » (pessah) des maisons marquées du sang de l’agneau. Et même si certains agissent par superstition, ils auront participé à la messe, entendu l’évangile de la Passion, fréquenté au moins une fois l’église : qui sait si Dieu ne parlera pas à leur cœur ?

Si en France les rameaux sont souvent de buis (son feuillage est toujours vert), au Congo on utilise des feuilles de bananier tressées du meilleur effet. Dans ma région, où la pyrale a bouffé tout le buis, on utilise cette année des rameaux d’olivier. Symbole de paix, de victoire, de force et de fidélité, l’olivier a bien sa place en ce début de Semaine Sainte, pendant laquelle seront consacrées, au cours de la messe chrismale, les huiles saintes fabriquées à base d’huile d’olive. L’olivier nous rappelle aussi le mont des Oliviers, près de Jérusalem, où Jésus a prié le dernier soir, mais aussi d’où commence son entrée à Jérusalem : la boucle est bouclée.

Donc, après la bénédiction des rameaux, on lit l’évangile de l’année (A, B ou C) relatant l’entrée messianique de Jésus, puis les fidèles entrent en procession dans l’église, en agitant leurs branches et en chantant ce que chantaient la foule de Jérusalem : « Hosanna au plus haut des cieux ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! » On aura reconnu là les paroles du Sanctus, mais aussi (et surtout) celles du psaume 118, chanté traditionnellement pour Soukkot, la fête des Tentes. Cette dernière, qui se situe en septembre-octobre, est une fête d’action de grâce pour les récoltes, mais également un rappel du séjour du peuple hébreu au désert, sous des tentes. C’est aussi au cours de cette fête que le roi Salomon fit entrer l’Arche d’Alliance dans le Temple de Jérusalem qu’il venait de faire construire. Il y a donc dans cette simple procession une accumulation de symboles qui nous échappent souvent, et c’est bien dommage parce qu’ils nous disent déjà le mystère qui va se jouer cette semaine : la nouvelle libération, le renouvellement de l’Alliance, la présence de Dieu au milieu de son peuple, le salut offert.

L’espérance de la gloire

Pas de préparation pénitentielle à la messe des Rameaux : l’acclamation précédente en tient lieu. Pourquoi ? Parce que nous avons acclamé Jésus comme un roi et que nous lui avons demandé de nous sauver (Hosanna !) ; et c’est exactement ce que nous faisons quand nous chantons Kyrie eleison : Seigneur (Maître, roi), fais miséricorde (sauve-nous) !

Commence alors la messe « classique », avec ses lectures et ses rites habituels. Habituels ? Pas vraiment. Les lectures (Troisième chant du Serviteur dans Isaïe, psaume 21 et hymne aux Philippiens) ont en commun un mélange de gravité et de victoire : le Serviteur présente son dos à ceux qui le frappent, mais il sait que « le Seigneur Dieu vient à [son] secours » ; le psalmiste est cerné par des chiens et des vauriens, mais il proclame le Nom divin « en pleine assemblée » ; quant au Messie « obéissant jusqu’à la mort de la croix », il sera proclamé « Seigneur à la gloire de Dieu le Père ». On voit bien que la liturgie veut nous faire entrer dans un « climat », qui est finalement celui de notre propre cœur, pris entre son désir de Dieu et ses refus, entre l’espérance du salut et le poids de ses péchés, entre la vie reçue et la mort annoncée. D’ailleurs, la couleur du jour n’est plus le violet de la pénitence, qui nous avait accompagnés durant tout le Carême, mais le rouge, symbole à la fois de la royauté et du martyre. Et toute la Semaine Sainte va se dérouler dans cette tension.

Parce qu’après tout, nous connaissons déjà la fin de l’histoire, et elle ne se termine pas si mal ; certes, il y aura un mauvais moment à passer, mais après le Vendredi Saint viendra le dimanche de Pâques, après la mort la résurrection, et la miséricorde de Dieu viendra effacer tous nos péchés. D’où vient alors cette lourdeur qui nous saisit, cette chape de plomb sur nos épaules, lorsque nous célébrons le mystère pascal ? Ne sommes-nous pas sauvés ? Si, bien sûr, mais « c’est en espérance » nous dit saint Paul (Rm 8,24) ; et peut-être nous faut-il traverser, au moins symboliquement, l’épaisseur de la souffrance du Christ pour comprendre de quoi nous avons été sauvés, et à quel point nous avons besoin de la miséricorde. Il ne s’agit pas de « faire comme si » nous ignorions la fin de l’histoire, de « jouer un rôle » de pécheurs repentis, mais de nous laisser saisir par le tragique de notre condition humaine, que Jésus a assumé plus que tout autre, car plus que tout autre il pouvait y échapper.

La gloire de la croix

Vient enfin le moment de l’évangile, et c’est chaque année le récit de la Passion, proclamé souvent par plusieurs lecteurs. Il est consternant de voir encore, dans certaines paroisses, tant d’improvisation dans ce moment pourtant crucial (c’est le cas de le dire) : comment peut-on encore lire le mystère central de notre foi dans des petits missels de poche en papier recyclé (je n’ai rien contre le papier recyclé, mais ça manque un peu de dignité) ? Comment peut-on encore buter sur les mots d’un texte que nous devrions connaître par cœur ? Et je ne parle pas des lecteurs qui se trompent de ligne, oublient leur tour, lisent à côté du micro, etc.

Si je suis virulente, c’est parce que la Parole de Dieu, c’est Dieu lui-même. « Ignorer les Écritures, c’est ignorer le Christ » disait saint Jérôme ; négliger la proclamation de la Parole, la prendre par-dessous la jambe, c’est négliger Dieu lui-même : c’est très grave. De plus, nous l’avons vu, la bénédiction des Rameaux attire beaucoup de paroissiens occasionnels ; si la messe est bâclée, auront-ils vraiment envie de revenir ? Si nous-mêmes ne prenons pas au sérieux ce que nous proclamons, comment y croiront-ils ? Il ne s’agit pas de faire un spectacle : la liturgie n’est pas un mime, ni une pièce de théâtre, mais un mémorial. Elle rend présente une action passée, et cette action, c’est l’événement central de l’histoire de l’humanité. Il serait dommage de passer à côté …

Comme la lecture est longue, il est permis à ceux qui sont fatigués de s’asseoir ; mais quand on entend ce que le Christ a souffert pour nous, on se dit que, sauf cas graves, on peut souffrir un petit peu pour lui. Et surtout, ne pas oublier de se mettre à genoux au moment où Jésus meurt sur la croix : c’est un signe de respect, d’adoration, et de pénitence. La liturgie nous invite à prier avec notre corps (cf. La Semaine Sainte : les événements de Jérusalem), et c’est avec notre corps, temple de l’Esprit Saint, autant qu’avec notre cœur, que nous devons rendre gloire à Dieu : « Glorifiez Dieu dans votre corps ! » (1 Co 6,20).

Le corps de gloire

De corps, il va encore en être question, puisque la messe continue, normalement, par la liturgie eucharistique. La Semaine Sainte, c’est l’occasion inespérée de sortir de la routine et de nous remettre face à cette réalité : le pain que le prêtre élève à l’autel, c’est bien le corps de Jésus mis en croix ; le vin que nous boirons le Jeudi saint, c’est bien le sang qui a coulé de son côté transpercé par la lance. « Ce n’est pas pour rire que je t’ai aimée » a dit Jésus à sainte Angèle de Foligno ; non, ce n’est pas pour rire qu’il nous a aimés, ce n’est pas pour rire qu’il a donné sa vie dans la mort la plus honteuse et douloureuse qui soit. « Accepter de mourir pour un homme juste, c’est déjà difficile […]. Or, la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ est mort pour nous, alors que nous étions encore pécheurs » (Rm 5,7-8).

Il n’y a pas plusieurs corps du Christ : un corps souffrant le Vendredi Saint, un corps victorieux le dimanche de la Résurrection, et un corps symbolique le dimanche à la messe. Il n’y a qu’un seul corps, et le vrai corps glorieux n’est peut-être pas celui qu’on croit : « Père, glorifie ton Fils, afin que le Fils te glorifie » dit Jésus au cours de son dernier repas, juste avant de se laisser crucifier (Jn 17,1). L’heure de la gloire, c’est l’heure de la croix, l’heure du sacrifice, qui transforme toute chose en amour. Vous ferez cela en mémoire de moi … 

La liturgie de ce jour a prévu une bénédiction solennelle, et c’est avec elle que je voudrais terminer cet article ; car elle nous rappelle que Dieu ne cesse de donner et de se donner, et elle nous invite, à la suite du Christ, à donner à notre tour notre vie pour (le service de) nos frères :

Dieu votre Père, le Père de toute miséricorde, vous a donné dans la passion de son Fils la plus belle preuve de son amour : qu’il vous aide maintenant à découvrir, à son service et à celui de vos frères, jusqu’où va le don de sa grâce. Amen.
Il vous a donné de vivre en Jésus qui a subi la mort pour vous sauver d’une mort éternelle : qu’il vous fasse don de sa vie. Amen.
Après l’avoir suivi dans les épreuves, puissiez-vous entrer avec lui dans sa gloire de ressuscité. Amen.

Image © Elisée

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