La Semaine Sainte : Les événements de Jérusalem

Le chemin du Carême touche bientôt à sa fin. Nous avons jeûné, nous avons prié, nous avons partagé, quelque chose s’est passé en nous, que nous nous en rendions compte ou pas. Nous allons maintenant aborder la dernière ligne droite, qui n’est peut-être pas la plus facile : la Semaine Sainte.

La grande semaine

C’est « la grande semaine » des chrétiens, non parce qu’elle est plus longue que les autres, mais parce que ce que l’on y célèbre est le centre même de la foi chrétienne : la passion, la mort et la résurrection du Christ. Elle va du dimanche des Rameaux jusqu’au dimanche de Pâques, en passant par ce qu’on appelle le triduum (les trois jours), c’est-à-dire les Jeudi, Vendredi et Samedi saints, avec en point d’orgue la grande vigile pascale. Avant le triduum, il aura fallu caser la messe chrismale, qui a lieu normalement le matin du Jeudi saint, mais qui peut être célébrée un autre jour pour des raisons pratiques (les prêtres devant être présents dans leurs paroisses le soir). Si l’on ajoute les confessions, le jeûne, la veillée au reposoir le Jeudi soir et le chemin de croix le Vendredi, on comprendra que les prêtres doivent être en forme pour tenir le coup !

Et les fidèles aussi, parce que les célébrations sont longues et qu’une partie se situe dehors, où il ne fait pas toujours chaud en cette période de l’année. Ne croyez pas cependant que la partie est plus facile en Afrique : le chemin de croix en langue locale et en plein cagnard, c’est vraiment un calvaire !

Nous sommes donc invités à mettre nos pas dans ceux de Jésus durant les derniers jours, et surtout les dernières heures de sa vie terrestre. Nous en avons le récit dans les évangiles, et avant de voir comment la liturgie nous propose de les vivre, il est bon d’aller jeter un coup d’œil dans l’Écriture.

Les récits des évangiles

Rappelons les faits, donc, tels qu’ils nous sont relatés par les évangélistes. Jésus monte à Jérusalem pour y fêter la Pâque juive. Cela fait déjà quelques années qu’il sillonne les routes de Palestine pour annoncer la Bonne Nouvelle : « Convertissez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche ! » (Mt 4,17). Il a guéri des malades, multiplié la nourriture, marché sur l’eau, prêché à temps et à contretemps. Ces propos plaisent beaucoup aux gens du peuple, qui s’étonnent de son autorité : il semble connaître Dieu « de l’intérieur », et non pas par les livres comme les scribes. Si certains scribes et pharisiens sincères l’écoutent avec respect, d’autres s’énervent : voilà qu’il se permet de faire des miracles le jour du sabbat (injure suprême), et qu’il appelle Dieu « mon Père ». Et puis, il a la dent dure envers eux, qu’il qualifie souvent d’hypocrites. Ce qu’il leur reproche, ce n’est certes pas de désobéir à la Torah (ils lui obéissent bien souvent scrupuleusement et à la lettre), mais précisément de la respecter sans véritablement l’aimer, de l’interpréter de manière étriquée, de ne voir en elle qu’un code de bonne conduite et non pas un chemin de vie.

Bref, Jésus ne s’est pas fait que des copains. Et voilà donc qu’il arrive à Jérusalem ; la nouvelle se répand comme une traînée de poudre, et les foules sortent pour l’acclamer en chemin, comme un roi, et surtout comme un sauveur : « Hosanna ! Sauve-nous ! » (Mt 21,9). C’en est trop pour les pharisiens, qui décident de s’en débarrasser. Deux jours avant la Pâque, ils l’arrêtent alors qu’il est en prière au mont des Oliviers, et le font comparaître de nuit devant le sanhédrin (ou du moins un conseil restreint) ; comme, selon la loi juive, ils n’ont pas le droit de le mettre à mort, ils l’amènent au procurateur romain en poste à Jérusalem, un nommé Ponce Pilate, en accusant Jésus de sédition. Pilate n’est pas convaincu de sa culpabilité, mais pour éviter une émeute, il accepte de le faire flageller et crucifier. Aussitôt dit, aussitôt fait, Jésus est crucifié avec deux bandits, et meurt « vers la neuvième heure » (Mt 27,46), c’est-à-dire vers 15h ; il est mis dans un tombeau proche, et tout le monde rentre vite chez soi pour le repas de la Pâque.

Le lendemain du sabbat, « le premier jour de la semaine » (Mt 28,1), deux femmes vont au tombeau pour finir l’embaumement, mais elles ne trouvent qu’un tombeau vide, et un ange qui leur dit que Jésus est ressuscité. Mortes de trouille, elles filent raconter l’affaire aux disciples, qui s’empressent de ne pas les croire. Comme Jésus leur apparaît plusieurs fois, ils commencent à avoir des doutes, mais préfèrent rester cachés, par peur des représailles. Il faudra attendre la Pentecôte pour qu’ils sortent au grand jour et répandent partout la nouvelle : « Ce Jésus que vous aviez crucifié, Dieu l’a fait Seigneur et Christ ! »

Le langage de la liturgie

Voilà pour les faits, avec des variantes plus ou moins importantes selon les évangélistes, notamment sur le jour de la mort de Jésus : le jour du repas pascal pour Jean (le 14 nisan), le lendemain pour les autres évangiles (le 15 nisan). Quant à la date exacte, c’est le flou complet, pour plusieurs raisons : on ne connaît pas l’année de naissance de Jésus, ni son âge à sa mort, et la fête de la Pâque est une fête à date variable selon les calendriers ; les historiens avancent des dates entre 29 et 33, probablement au mois d’avril. On ignore même le jour de la semaine : « la veille du sabbat », certes, mais le jour de la Pâque devenant de facto un « sabbat », ce peut être n’importe quel jour. Mais après tout, quelle importance ? Si les évangélistes n’ont pas donné plus de précisions sur la date et l’année, c’est qu’elles étaient pour eux secondaires. L’important, c’est que la mort de Jésus a lieu dans le contexte de la Pâque juive, qui l’éclaire et qu’elle éclaire.

Car la Pâque, c’est la commémoration de la libération du peuple hébreu d’Égypte, le pays de servitude. Ce récit, raconté dans le livre de l’Exode, nous dit comment le peuple d’Israël fait l’expérience du Dieu qui sauve (cf. Le passage de la Mer rouge : la première Pâque). Et Jésus, qui n’est pas venu abolir la Loi mais l’accomplir, va précisément porter à leur accomplissement, à leur plénitude, cette libération et ce salut ; il va nous offrir la vie éternelle par le baptême dans sa mort et sa résurrection, et la manne véritable par la communion à son corps et à son sang.

Comment la liturgie va-t-elle donc nous faire vivre ces événements ? Puisque les faits sont à la fois précis (racontés en détail) et imprécis (les témoignages divergent parfois), la liturgie va nous les rendre présents à sa manière propre, c’est-à-dire symboliquement. Le symbole est ce qui « met ensemble » (sens du verbe grec symballesthaï) un signifiant (objet, image, geste, personne, etc.) et un signifié (idée, concept, fait, etc.). Il y a donc du symbolique chaque fois qu’il y a création de sens à travers des signes. Le symbole présente l’avantage indéniable de dire l’indicible : le drapeau dit la patrie, mais pas seulement ; il dit un peuple et une histoire. Il dit aussi l’amour de la patrie, une fierté quand l’athlète monte sur la plus haute marche du podium, une souffrance quand le pays est en danger. Il dit tout cela sans mot, sans phrase, et tout le monde le comprend sans avoir besoin d’explication. Dans cette perspective, tout peut être symbole : ce qui compte n’est pas la chose elle-même, mais son emploi et sa réception.

Prier avec son corps

Et c’est là que le bât blesse : aucun symbole n’est universel, il est même éminemment culturel ; dans notre société déchristianisée se pose donc de plus en plus la question de la compréhension des symboles séculaires (et même millénaires) de l’Église ; d’autant plus que ces signes disent une réalité qui s’est produite dans une civilisation qui n’est pas la nôtre (le judaïsme). Il faut donc sans cesse expliquer et réexpliquer le sens des gestes, des paroles, des objets. Mais un symbole qu’on est obligé d’expliquer est-il encore un symbole ? 

Autre problème : le symbole parle au corps, à travers les cinq sens ; la vue (les gestes, les couleurs), l’ouïe (les chants, la musique, le silence), le goût (le pain, le vin), l’odorat (l’encens), le toucher (le lavement des pieds, le bois de la croix), nous disent parfois plus efficacement qu’aucun mot la réalité essentielle que recouvrent nos pauvres pratiques. Vivre la liturgie, c’est prier avec son corps, et pour cela il faut mettre un peu de côté notre raison raisonnante ; pas facile dans un monde qui se veut rationnel.

Nous allons donc entrer dans la liturgie de la Semaine Sainte avec ces deux handicaps ; et c’est peut-être la conversion la plus douloureuse du Carême, celle où nous devons entrer dans ce qui nous est autre et nous laisser transformer, à travers notre corps, jusqu’à notre âme, c’est-à-dire jusqu’au plus profond de notre être. À la suite de Jésus, passer avec lui de la mort à la Vie.

Image © Elisée

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