Le repas du Seigneur

Les médias séparent souvent les croyants en deux catégories (les médias aiment bien les catégories, ça simplifie les choses et ça évite de réfléchir) : les croyants pratiquants et non pratiquants. Les non pratiquants sont ceux qui croient dans leur cœur, éventuellement prient tout seuls chez eux, sont baptisés (pour les croyants chrétiens) mais n’observent pas les aspects rituels de leur religion. Les pratiquants, par définition, pratiquent ces rites. Si j’étais méchante, je dirais que s’il existe des croyants non pratiquants, il existe aussi, hélas, des pratiquants non croyants ! Mais comme je ne suis pas méchante, je ne le dis pas …
Être pratiquant, pour un catholique, c’est, selon les critères des mêmes médias, aller à la messe au moins une fois par mois, « faire ses Pâques », comme on disait autrefois (c’est-à-dire se confesser et communier à Pâques), prier régulièrement … Ceux-là, ce sont des pratiquants light ; il y en a de plus hard, qui vont à la messe tous les dimanches ; et les fous qui, comme moi, poussent le vice jusqu’à « messaliser » chaque jour … Ceux-là sont incurables ! (cf. La messe, un truc de malade(s))

Si vous allez à la messe régulièrement, il ne vous aura pas échappé que, quand même, c’est un peu toujours la même chose. Ben ouais, ça s’appelle un rite, et ce qui caractérise un rite, c’est précisément la répétition d’une action formalisée. Quand l’ensemble des rites concernent la messe et les offices, on parle de liturgie. Le mot vient du grec leitourgia, qui signifie littéralement service public ! Il est construit à partir des mots laos, peuple, et ergon, action. La liturgie, c’est une action du peuple (pour Dieu) ; mais c’est aussi l’action de Dieu pour son peuple ; c’est enfin l’action de Dieu et de son peuple pour le salut du monde. Pour vous aider à comprendre la messe et ses diverses parties, nous allons voir ensemble son déroulement.

Les deux tables

On dit traditionnellement que la messe comprend deux grandes parties, la liturgie de la Parole et la liturgie de l’eucharistie, s’organisant autour de deux tables que sont l’ambon (la table de la Parole) et l’autel (la table du Corps eucharistique). C’est dire que la messe est un repas, le repas du Seigneur (c’est ainsi qu’on l’appelait dans les premiers siècles), auquel sont invités, et même convoqués (c’est l’étymologie du mot Église) les fidèles. On y mange la Parole de Dieu (l’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole venant de la bouche de Dieu) et le Pain qui représente (au sens strict : il rend présent) le corps du Christ. Avec un peu de chance, certains jours, on peut aussi boire le vin qui représente son sang. Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur !
Donc la messe est un repas, un festin même, le festin des noces de Dieu et de l’humanité, rien de moins ! Heureux sommes-nous d’y être invités ! Quand on est invité à un mariage, on se fait beau ; on n’y va pas en jean et baskets. C’est pourquoi il n’est pas superflu de s’habiller correctement le dimanche : être endimanché, c’est simplement se souvenir que le Seigneur (le dimanche est littéralement le jour du Seigneur) est un ami qui nous invite à son mariage.

L’accueil
Quand nous arrivons au lieu du repas, nous saluons les autres invités et nous nous rassemblons en attendant les époux. C’est le sens du chant d’entrée à la messe. Rappelons-nous que nous ne sommes pas ici pour faire nombre, mais pour faire corps ! L’Époux arrive, en la personne du prêtre, et nous invite à entrer « au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit ». Avant d’entrer dans une maison, on s’essuie les pieds sur le paillasson ; en simplifiant, on pourrait dire que c’est ce que nous faisons dans le rite pénitentiel (Je confesse à Dieu) : nous reconnaissons que nous sommes sales et que nous avons besoin d’un bon bain … de miséricorde ! Soulagés d’être un peu moins crottés, nous pouvons chanter les mérites du Maître de maison et la joie de ses invités : c’est le Gloria (Gloire à Dieu au plus haut des Cieux et paix sur la terre aux hommes qu’il aime).

Le temps de la Parole
Jusqu’à présent, nous étions encore dans le hall d’entrée, donc debout. Nous sommes invités à nous asseoir, car le Maître de maison a des choses à nous dire avant le repas proprement dit. C’est le temps de la Parole, qui comprend trois textes et un psaume chanté. Quand j’étais (beaucoup) plus jeune, je croyais que les textes étaient choisis au hasard, et je m’émerveillais qu’ils correspondent si bien entre eux. J’ignorais, pauvre enfant, qu’il n’y a aucun hasard là dedans, qu’il y a des gens dans l’Église qui connaissent la Bible quasiment par cœur, et qu’il n’est pas très difficile de faire correspondre des textes qui, dans leur ensemble, ne disent qu’une seule chose : l’amour fou de Dieu pour son peuple. Donc il y a une première lecture, tirée en général de l’Ancien Testament, et qui est un avant-goût de l’Évangile qui sera lu ensuite. Puis vient le chant du psaume, qui n’est pas une lecture supplémentaire à écouter pieusement, mais la réponse que nous, l’assemblée, donnons à ce que nous venons d’entendre.
La deuxième lecture est tirée du Nouveau Testament ; il s’agit d’une lecture suivie (d’un dimanche à l’autre) d’une des nombreuses lettres des apôtres. Puis on se lève pour acclamer l’Évangile, qui sera proclamé par le prêtre himself (ou un diacre) ; les lectures précédentes étaient proclamées par un fidèle, comme le serviteur qui annonce le Maître.
Après la proclamation de l’Évangile, le prêtre « fait l’homélie », c’est-à-dire qu’il actualise la Parole entendue (et qui est quand même un peu datée dans sa formulation) en la mettant en relation avec la vie quotidienne des fidèles, l’enseignement de l’Église ou le sens de la célébration en cours (pour les mariages, par exemple). Puis, nous signifions notre adhésion à ce que nous venons d’entendre en récitant le Credo (Je crois en Dieu), qui est un résumé de la foi de toute l’Église. Comme nous sommes maintenant tous bien unis, bien d’accord entre nous, nous pouvons faire monter au Maître de maison une prière commune et universelle.

Le temps du Pain de vie
Il est temps de passer à table ! Il faut d’abord la dresser : il y a là tout un petit rituel, la préparation des offrandes, que nous verrons plus en détail dans un autre article parce que ça vaut la peine de s’y arrêter. Puis le prêtre nous invite non pas à nous asseoir, mais à nous lever pour « offrir le sacrifice de toute l’Église ». Là encore, je consacrerai un article à cette prière essentielle de la messe qu’est la prière eucharistique ; mais pour rester dans la métaphore du repas, je dirai que le prêtre demande à Dieu de préparer lui-même la nourriture, en se donnant comme Jésus l’avait fait lors de la dernière Cène. Même si la prière est lue, il ne s’agit pas d’une simple lecture à écouter : l’eucharistie est un sacrement, et un sacrement « fait ce qu’il dit ». Donc il se passe réellement quelque chose à ce moment-là, même si ce n’est pas immédiatement visible.
Il nous reste encore une chose à faire avant de pouvoir communier, c’est-à-dire manger le pain qui fait de nous un seul Corps : nous reconnaître frères les uns des autres. Nous disons donc tous ensemble la prière du Notre Père, qui en proclamant Dieu Père de tous fait de tous des frères. Cette fraternité se manifeste dans le geste de paix, où chacun communique à ses voisins la paix qui vient du Christ, notre frère. Le prêtre partage alors le pain et invite les fidèles : heureux les invités au festin des noces de l’Agneau !
Alors, et alors seulement, nous pouvons nous avancer pour recevoir le Pain de vie. Certains ne communient pas, parce qu’ils estiment qu’ils n’en ont pas le droit. Mais l’eucharistie n’est pas un droit, et encore moins un dû : c’est un don ! Personne ne « mérite » un tel don, et personne ne peut dire qu’un autre ne le mérite pas. Il ne s’agit pas de droit ni de mérite, mais d’une disposition du cœur qui nous permet d’accueillir le don et de le laisser agir en nous. Il n’y a rien de nouveau là dedans, Saint Paul le disait lui-même en son temps : Celui qui aura mangé le pain ou bu la coupe du Seigneur d’une manière indigne devra répondre du corps et du sang du Seigneur. On doit donc s’examiner soi-même avant de manger de ce pain et de boire à cette coupe. Celui qui mange et qui boit, mange et boit son propre jugement s’il ne discerne pas le corps du Seigneur. (1 Co, 27-29). Le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il n’y va pas avec le dos de la cuillère !

Accueillir la grâce suppose de ne pas se bousculer au moment de la communion, ni après. Un temps de recueillement est nécessaire, en général en silence (ou sur fond musical) ; mais un chant adapté peut aussi être un moyen de prendre conscience de ce qui vient de se passer.

L’envoi
Il est temps de se quitter ; le prêtre rassemble une dernière fois la prière de tous, puis bénit l’assemblée et l’envoie partager et répandre la Bonne Nouvelle qu’elle vient de célébrer. La formule latine, très ancienne, est Ite, missa est, qu’on traduit habituellement par Allez, la messe est dite, mais qui signifie plutôt Allez, c’est la mission !

Commence alors une autre messe, celle de notre vie : Je vous exhorte, frères, par la tendresse de Dieu, à lui présenter votre corps et votre personne tout entière, en sacrifice vivant, saint, capable de plaire à Dieu : c’est là, pour vous, la juste manière de lui rendre un culte. (Ro 12, 1)

Image © Elisée

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