Bienheureuse Anuarite : Yezu tu

C’est la fête aujourd’hui en République Démocratique du Congo ! En ce 1er décembre, l’Église locale fait mémoire de la Bienheureuse Marie-Clémentine Anuarite Nengapeta. Comme vous êtes des internautes attentifs, il ne vous aura pas échappé que j’ai placé ce blog sous son patronage. Pourquoi ? Parce que j’ai eu la chance de vivre quelques années dans ce beau pays et de fréquenter régulièrement le Sanctuaire qui lui est dédié sur les lieux de son martyre. Témoin privilégiée de la ferveur du peuple congolais pour sa ‘première fille martyre’, j’ai même écrit un bouquin sur elle ; il est encore en cours de révision, mais j’espère fermement que vous courrez l’acheter quand il sera publié (il faut bien vivre !).

Yezu tu, Jésus seul

Lorsqu’elle fut baptisée en 1943, à la mission catholique de Wamba, en bordure de la forêt équatoriale, la petite Alphonsine Nengapeta, alors âgée de 4 ans, ne se doutait pas qu’elle serait un jour connue dans tout son pays sous le nom de Marie-Clémentine Anuarite. Vicissitudes de la vie coloniale, l’institutrice l’enregistra à l’école sous le nom de sa sœur Anuarite, nom qu’elle gardera finalement. Et lorsqu’elle entre au noviciat de la Congrégation de la Jamaa Takatifu (Sainte Famille), c’est sous le nom de Sr Marie-Clémentine qu’elle prend le voile.

Étonnant parcours que celui d’Anuarite. Née dans le trou perdu de Mendabone, dans la maison familiale aujourd’hui disparue, elle a à peine 15 ans lorsque, contre l’avis de sa maman, elle monte dans le camion qui emporte les aspirantes (apprenties religieuses) vers Bafwabaka, à une cinquantaine de kilomètres. C’est là qu’elle fera ses premiers vœux, en août 1959, à même pas 20 ans. Elle n’a qu’un désir : donner sa vie au Christ et pour le Christ. Alors elle se dépense sans compter au service des enfants dont elle a la charge à l’école ou à l’internat, des malades et des vieillards qu’elle va visiter, et de ses sœurs au sein de la communauté.   

Simba oye !

Mais la situation politique est plus qu’instable dans le Congo nouvellement indépendant. C’est même le bazar complet, de simili coups d’état en assassinats politiques (celui de Lumumba en janvier 61), de soulèvements populaires en rébellions. Si la vie est plutôt paisible à Bafwabaka, loin de l’agitation des villes, la rébellion dite des Simba (les lions), partie du Katanga et du Sud-Kivu en mai 64, ne tardera pas à embraser la moitié Est de cet immense pays. En août, la ville de Kisangani tombe aux mains des rebelles, puis c’est au tour de Wamba et d’une grande partie de la province. C’est une véritable guerre civile, avec des massacres épouvantables, dirigés contre tous ceux censés soutenir le régime de Kinshasa : les proches du parti au pouvoir, les fonctionnaires, les missionnaires.

C’est le 29 novembre que les rebelles arrivent à Bafwabaka. Ils ne s’attaquent pas directement aux religieuses car elles sont Noires et politiquement neutres ; mais la rébellion est menée par des chefs communistes, pour qui le seul « Dieu des Noirs » doit être Lumumba. Ils embarquent les religieuses dans leur camion, et après un voyage mouvementé, tout le monde arrive à Isiro le 30 au soir.

C’est ça que je voulais

Le chef rebelle Ngalo a repéré la jolie Sr Marie-Clémentine, alors il charge son adjoint Olombe de l’amener chez lui. Refus d’Anuarite : « J’ai fait le vœu de chasteté pour Jésus, je dois me garder pure pour lui ! » Le ton monte ; Olombe, ivre, drogué, ne comprend pas : comment une femme peut refuser d’être la femme d’un chef, d’être honorée, d’avoir de l’argent ? C’est sûrement une sorcière ! Dans sa rage, il frappe Anuarite au visage avec la crosse de son fusil. « C’est ça que je voulais ! » s’écrie Anuarite avant de s’effondrer. Elle continue de lui tenir tête : ses fétiches doivent être puissants ! Il faut la tuer ! Il est tellement paniqué qu’il n’ose pas le faire lui-même, mais donne l’ordre à ses soldats de l’assassiner. Il est une heure du matin ; le corps d’Anuarite sera enterré en catimini près de la fosse commune, au cimetière de Dingilipi.

Anuarite takatifu !

Première tombe d’Anuarite au cimetière de Dingilipi, lieu de pèlerinage

Anuarite est reconnue morte « en haine de la foi » (martyre, donc) et béatifiée le 15 août 85 par le Pape Jean-Paul II, en visite au Congo. Aujourd’hui, tout le monde attend sa canonisation. Si celle-ci tarde à venir, ce n’est pas faute de prier à cette intention ! Le problème est qu’il faut un miracle : les guérisons par son intercession ne manquent pas, en réalité, mais elles sont difficiles à établir. Dans cette province qui compte un médecin pour 24 000 habitants et un infirmier pour 1 500, qui manque des ressources matérielles élémentaires pour simplement diagnostiquer les pathologies (sans parler de les guérir), où les centres de santé sont encore en terre battue, où les infrastructures de base (routes, électricité) sont rares et dans un état pitoyable, comment récolter les témoignages et les documents nécessaires à la procédure longue, laborieuse et coûteuse de canonisation ?

Pourtant, un tel événement mettrait bien du baume au cœur de ces oubliés du monde que sont les Congolais ! Alors, en ce jour où, à Isiro, les gens chantent et dansent en l’honneur d’une petite fille de la forêt devenue sainte, prions pour que sa prochaine canonisation vienne mettre sur le devant de la scène ces chrétiens méconnus d’Afrique noire qui aiment, souffrent et donnent leur vie pour le Christ.

 

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