Temps de l’Avent : vers le terme de l’histoire

Nous entrons aujourd’hui dans le temps de l’Avent. Mmmmh ! ça sent Noël ! Le froid s’installe, la nuit avance, on se calfeutre chez soi en buvant du thé aux épices devant quelques bougies. Les radiateurs chauffent, la carte bleue aussi …

Mais l’Avent est une création chrétienne, une période où nous préparons nos cœurs à la venue du Messie. Quand on dit « venue du Messie », on pense immédiatement à sa venue « dans la chair », sa naissance à Bethléem il y a deux mille ans. Et on se dit que l’Avent est simplement un temps de préparation à la fête de Noël.

Celui qui était

Ce n’est pas faux, bien sûr, mais c’est restrictif. Car l’Avent est d’abord et avant tout un temps d’espérance qui oriente notre regard et notre cœur vers la fin des temps. Quand j’étais petite, au catéchisme, on nous avait appris que les Juifs attendaient encore le Messie promis, mais que nous, chrétiens, nous avions tout compris et nous savions bien que le Messie était déjà venu, et qu’il s’appelle Jésus. Résultat : alors que les Juifs sont tendus vers l’avenir, les chrétiens ont tendance à s’appuyer sur le passé comme on se repose sur des lauriers. Jésus est déjà venu nous sauver, nous n’avons rien à attendre que l’accomplissement de ce salut pour tous. Jésus a promis qu’il reviendrait, c’est vrai, m’enfin depuis le temps, il a dû oublier ; la fin des temps, c’est bien joli, mais en attendant, profitons de cette vie, qui finalement n’est pas si mal (surtout au moment du réveillon) …

Évidemment, avec des raisonnements comme ceux-là, on comprend que les chrétiens soient devenus tièdes et engourdis. La société de consommation et son « tout, tout de suite » nous fait oublier que notre vocation humaine se situe précisément hors du temps et hors des réalités terrestres. J’en ai déjà parlé dans La liturgie eucharistique : le temps de la Présence, mais il n’est peut-être pas superflu d’y revenir.

Celui qui vient

« Ce que nous attendons, selon la promesse du Seigneur, c’est un ciel nouveau et une terre nouvelle où résidera la justice » dit la seconde Épitre de Saint Pierre (2 P 3,13). Ce ciel nouveau, cette terre nouvelle, c’est le Royaume promis, le jour où nous serons unis à Dieu. C’est pour cela qu’il nous a créés : pour vivre de lui et avec lui, dans la plénitude de l’amour. Il n’y a ABSOLUMENT pas d’autre but dans la vie ! La vraie vie, la vie éternelle, c’est la vie eschatologique (du grec ta eschata, les choses dernières, ultimes). Ultimes parce qu’elles sont le sommet, l’aboutissement de notre vie. Jésus viendra à la fin des temps, car les temps auront une fin (c’est la Parousie) ; mais la vie éternelle n’est pas la vie après la mort, c’est la vie unie à Dieu : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul Dieu, le vrai Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus Christ » (Jn 17,3). Et cette vie commence aujourd’hui.

Tous les évangiles nous invitent à nous détourner des affaires de ce monde, non pas parce qu’elles sont sans importance (tout ce qui touche à l’être humain est important aux yeux de Dieu), mais parce qu’elles sont secondaires. Ce qui est premier, c’est le Royaume, qui se réalisera totalement « au terme de l’histoire », mais qui se manifeste déjà chaque fois que Dieu se rend présent à nous, ou plus exactement, chaque fois que nous nous rendons présents à lui.

Celui qui est

Comme les pharisiens demandaient à Jésus quand viendrait le règne de Dieu, il prit la parole et dit : « La venue du règne de Dieu n’est pas observable. On ne dira pas : “Voilà, il est ici !” ou bien : “Il est là !” En effet, voici que le règne de Dieu est au-dedans de vous. » (Lc 17, 20-21)

Ce au-dedans est tellement choquant que les traducteurs préfèrent utiliser pudiquement au milieu. Mais le mot grec employé ici n’est pas en mesô, au milieu, mais entos qui signifie à l’intérieur, au plus intime.

On comprend que pour accueillir le Royaume au plus intime de nous-mêmes, nous avons besoin de nous y préparer. « Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route » nous exhorte Jean-Baptiste le deuxième dimanche de l’Avent. Il est vrai que pour se frayer un passage au-dedans de nous, Dieu doit passer bien des obstacles (et la préparation de la fête païenne de Noël, la fête de la surconsommation, n’est pas le moindre).

Le Dieu désarmé

Au début de l’Avent, Jésus annonce sa venue par des cataclysmes, et nous ne voulons pas entendre parce que cela nous fait peur (il y a de quoi). Jean-Baptiste non plus n’est pas facile à écouter : « Engeance de vipères ! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? […] Déjà la cognée se trouve à la racine des arbres : tout arbre qui ne produit pas de bons fruits va être coupé et jeté au feu. » En même temps, nous entendons des paroles de consolations de la part des prophètes : « Comme un berger, il fait paître son troupeau : son bras rassemble les agneaux, il les porte sur son cœur, il mène les brebis qui allaitent » (Is 40,11). Et les derniers jours nous préparent non pas à une catastrophe, mais à une naissance : Dieu vient, et c’est un petit enfant, la plus démunie de toutes les créatures !

Le voilà le cataclysme ! Le voilà le tremblement de terre ! Comme un petit enfant, Dieu mendie notre amour ; il n’est plus le Très Haut, mais le Très Bas … La toute puissance de Dieu ne réside pas dans sa capacité à punir ou à anéantir, à dominer et à tout contrôler (ça, c’est notre compréhension de la puissance) ; la toute puissance de Dieu consiste à aimer encore et toujours, et surtout, surtout, à nous laisser libres de répondre à cet amour (et il faut être très fort pour laisser l’autre libre).

Dieu est en nous comme un enfant dans le ventre de sa mère, il ne demande qu’à venir au monde. Mais il ne peut pas naître sans nous. Voilà pourquoi avec l’Avent commence une nouvelle année liturgique : nous sommes appelés à devenir des êtres nouveaux, habités par le désir de Dieu, orientés vers le Royaume comme par un aimant (du verbe aimer), tendus vers le jour où « nous serons semblables à lui parce que nous le verrons tel qu’il est » (1 Je 3,2).

Amour qui nous attends au terme de l’histoire … quand verrons-nous ta gloire transformer l’univers ?

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