La création de l’être humain 1 : tu es poussière …

Nous allons aborder aujourd’hui un passage à la fois très connu et très méconnu : la création de l’homme et de la femme. Je devrais dire « les passages », car apparemment, Dieu s’y est pris à deux fois. Comme nous l’avons vu dans Le poème de la création, il y a deux récits dans la Bible, le deuxième étant antérieur au premier et les deux étant complémentaires. Pour ce qui va suivre, je vais m’inspirer un peu (beaucoup) de ce que dit saint Jean-Paul II dans ses catéchèses sur la théologie du corps.

Ce que l’on connaît 

Dans le premier récit de la Genèse, Dieu crée par sa parole, il fait l’homme à son image, homme et femme d’ailleurs, et leur ordonne de dominer la création. Dans le chapitre suivant, Dieu fait Adam à partir de la poussière du sol (le fameux tu es poussière …), puis il lui souffle dans le nez pour lui donner la vie. Puis, comme l’homme s’ennuie, il crée les animaux pour lui tenir compagnie ; mais ça n’a pas l’air de lui suffire, alors il l’assomme un bon coup et profite de son sommeil pour lui retirer une côte, à partir de laquelle il crée la femme. Et là Adam est bien content, il quitte son père et sa mère (??), s’attache à sa femme, et tous deux ne font plus qu’un.

Évidemment, dit comme ça, ce n’est pas très folichon, et on comprend que les esprits soi-disant éclairés trouvent ça ringard. Mais que nous dit vraiment la Bible ?

A notre image

Dieu dit : Faisons l’être humain comme notre image et notre ressemblance. Dieu créa l’être humain à son image, à l’image de Dieu il le créa, mâle et femelle il les créa. Dieu les bénit et leur dit : soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre et soumettez-la. Dieu vit tout ce qu’il avait fait : cela était très bon. Ge 1, 26-28

Faisons : nous l’avons déjà dit (Le poème de la création), c’est ici le Dieu dans sa dimension trinitaire qui s’exprime. Le verbe qui sera employé, créer (bara’), verbe qui n’admet comme sujet que Dieu lui-même, est utilisé trois fois dans le même verset. La Trinité, c’est la communion d’amour entre le Père, le Fils et l’Esprit Saint. Lorsque le Dieu-communion d’amour crée l’humain à son image, c’est à l’image de cette communion d’amour : l’humain est, avant tout, un être de relation, créé par amour et pour l’amour.

L’être humain : Dieu crée l’« humain », terme générique. Le mot adam vient de adamah, la terre ; Elie Chouraqui traduit par « le glaiseux ». D’un point de vue biochimique, il n’y a rien dans le corps humain qui ne soit déjà présent ailleurs dans la création : l’être humain fait partie intégrante de la création.

Comme notre image : lorsque Dieu crée les animaux, il n’est nulle part question d’image et de ressemblance. Seul l’humain est créé à l’image de Dieu ; il est donc un être à part, et s’il ressemble à quelqu’un, ce n’est pas d’abord à l’animal, mais à Dieu. Dire que l’homme est un « animal comme les autres » est bibliquement faux : il fait partie du règne animal, certes (partie intégrante de la création, avons-nous dit), mais pas « comme les autres ».

La théologie du sexe

Mâle et femelle il les créa : il n’est pas encore question d’homme et de femme, mais d’individus sexués. On pourrait traduire délicatement par masculin et féminin, mais l’hébreu n’a pas de ces pudeurs : le mot hébreu pour dire femelle, n’qebah, vient d’un verbe signifiant trouer. On pourrait difficilement être plus explicite ! Mâle et femelle à l’image de Dieu ? Et bien oui, la réalité de la sexualité humaine est directement liée à l’image de Dieu. Étonnant, non ? Cela n’a pas été dit à propos des animaux : ils sont pourtant probablement créés eux aussi mâles et femelles, puisqu’ils sont censés se reproduire (« selon leur espèce » dit le texte). Mais la sexualité des animaux a pour seule fin la reproduction. Il semblerait donc que la sexualité humaine a une autre finalité. Conséquence : le sens de la sexualité humaine ne se comprend pas à partir de la sexualité animale (comme nous l’inculquent les manuels de biologie), mais à partir de l’identité divine. Nous avons tendance à considérer la sexualité humaine comme un dérivé, au mieux une sublimation, de la sexualité animale : on va du bas vers le haut, du terrestre au céleste, du matériel au spirituel. Ça, c’est créer Dieu à l’image de l’homme (et même de l’animal) ! Mais la Bible dit l’inverse : pour comprendre la sexualité humaine, il faut partir de Dieu. Dans la sexualité animale, il n’y a qu’un reste extrêmement appauvri de ce qui n’existe, dans la plénitude de sa signification, que chez l’humain.

Dieu les bénit et leur dit : soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre et soumettez-la : Dieu bénit l’humain dans son identité sexuée ; c’est une bonne chose ! Et il lui parle, il en fait un interlocuteur, presque comme un égal. Presque, car il lui donne un ordre : être fécond et dominer la terre. L’humain est donc bien une créature à part, le sommet de la création.

Cela était très bon (tov) : Dieu est fier de lui : le reste de la création, c’était déjà pas mal, mais là il s’est surpassé ! Cet humain qu’il vient de créer, c’est son chef d’œuvre. Et il se repose le septième jour, non pas parce qu’il est fatigué, mais pour mettre une limite à son œuvre propre de création, et en quelque sorte « passer la main » à l’humain, pour qu’il devienne co-créateur avec lui.

Résumons : Dieu crée l’être humain sexué à son image et ressemblance, ce qui le distingue radicalement du reste de la création. Cette ressemblance a sa racine dans la dimension trinitaire de Dieu, ce qui fait de l’humain un être de relation, et donc aussi de relation sexuée et sexuelle. Et c’est très bon ! Car cette relation sexuée, c’est précisément ce en quoi l’humain ressemble à Dieu …

On voit que ces trois versets de Genèse 2 contiennent bien plus que ce que nous en retenons habituellement (et encore, j’ai fait court). Surtout, cela contredit les caricatures habituellement répandues d’un Dieu hostile au plaisir, et d’une sexualité qui serait forcément un péché. Le péché originel, nous le verrons dans un prochain article, n’a rien d’un péché de nature sexuel (ça, c’est l’hérésie cathare). Certes, c’est souvent dans la sexualité que le péché va se glisser (mais pas seulement, hélas), mais justement parce que la sexualité est le point de ressemblance avec Dieu ! C’est toujours dans nos relations que le diable vient mettre la pagaille : relations avec Dieu, relations avec les autres, relations avec nous-mêmes …

Vous voyez qu’il y a déjà là de quoi méditer longuement. Et ce n’est pas fini. Venons-en maintenant au deuxième récit, celui de l’homme puis de la femme. Là encore, le texte nous réserve des surprises.

Un paradis à venir

Au temps où Yahvé Dieu fit le ciel et la terre, […] il n’y avait pas d’humain pour travailler le sol. […] Alors Yahvé Dieu modela l’humain à partir de la glaise du sol ; il insuffla dans ses narines une haleine de vie, et l’humain devint un être vivant. Yahvé Dieu planta un jardin en Eden, à l’orient, et il y mit l’humain qu’il avait modelé. Yahvé Dieu fit pousser du sol toute espèce d’arbres séduisants à voir et bons à manger, et l’arbre de vie au milieu du jardin, et l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Un fleuve sortait d’Eden pour arroser le jardin et de là il se divisait pour former quatre bras. […]Yahvé Dieu prit l’humain et l’établit dans le jardin d’Eden pour le cultiver et le garder.

Nous considérons souvent le jardin d’Eden comme une chose du passé, une sorte de « paradis perdu » ; or il s’agit plutôt d’une anticipation de l’avenir, la forme imagée du projet de Dieu pour l’homme : une vie heureuse en communion avec lui. Vous remarquerez au passage que Dieu met l’humain dans le jardin pour le cultiver, comme quoi le travail n’est pas incompatible avec le bonheur. En fait, c’est de cette façon que l’humain va pouvoir répondre à l’ordre qui lui a été donné de soumettre la terre : en la cultivant, en la faisant grandir, en lui faisant donner le meilleur d’elle-même.

La main à la pâte

Mais avant de le mettre au turbin, il faut le créer. Et là, observer bien ce qui est dit : Dieu modela l’humain à partir de la glaise du sol. Le verbe employé n’est plus bara’, mais yatsar, former, façonner, structurer. Au chapitre 1, Dieu avait tout créé par sa parole ; là il met, si j’ose dire, les mains dans le cambouis. Il retrousse ses manches et met la main à la pâte : il s’y colle. La glaise, ça colle aux doigts ; manière de dire que Dieu et l’homme sont difficiles à séparer … Peut-être avez-vous déjà vu un potier en action, peut-être même faites-vous vous-même de la poterie ; c’est un travail de patience, de précision, d’amour. Le potier s’implique dans son œuvre, il n’y met pas seulement ses mains, mais son cœur et son âme ; ce qu’il est profondément finit par transparaître, d’une manière ou d’une autre, dans l’objet qu’il façonne. Écoutons ce que disait déjà Tertullien au début du IIIe siècle : « Représente-toi Dieu tout entier occupé à donner figure à l’œuvre de sa main : il y applique son intelligence, son action, son conseil, sa sagesse et sa providence, et avant tout son affection. Car tout ce qui était imprimé dans ce limon, c’était la pensée du Christ, l’homme à venir. »

Et en plus, il lui insuffle son haleine de vie : c’est le souffle même de Dieu qui anime l’humain, qui le rend vivant ! Dieu seul peut donner la vie ; nous, nous ne pouvons que transmettre une vie que nous avons-nous-mêmes reçue. Mais ce souffle est aussi ce qui nous permet de parler : l’humain, par cette respiration de vie qui l’anime, devient un esprit parlant (je n’invente rien, l’expression est dans le targum onkelos, commentaire araméen de la Torah). Nous sommes cette œuvre-là, nous sommes l’œuvre de ce Dieu-là, et aucun artisan n’aime à s’entendre dire que son travail est moche, ou mal fichu, ou inutile.

Nous verrons dans le prochain article l’achèvement de la création : la femme …

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