Prier en Carême : Choisis donc la vie !

Nous sommes maintenant bien installés dans le Carême, et il est plus que temps de nous intéresser au deuxième « pilier » de ce temps béni : la prière. Les paroisses et communautés offrent toutes sortes d’activités particulières, chemins de croix, chapelets, conférences de Carême, partage d’évangile, pain-pomme, etc. Pourtant, Jésus nous dit de « prier dans le secret », dans la « chambre intérieure » (tameion). Pourquoi ? Pour retrouver l’élan premier de la prière : la vie.

Temps mort

Le Carême nous propose de revivre les quarante ans du peuple hébreu dans le désert : sortir d’Égypte, quitter nos pays de servitude, puis errer à la recherche de la Terre promise, avoir faim, avoir soif, récriminer, recevoir la manne … L’histoire du peuple choisi, c’est l’histoire sainte de chacun de nous (puisque nous sommes tous choisis). Et que dit Dieu à Moïse au désert ? « Vois ! Je mets aujourd’hui devant toi ou bien la vie et le bonheur, ou bien la mort et le malheur » (Dt 30,15). C’est la première lecture du premier jour du Carême (le jeudi après les cendres), associée au psaume 1, dit des « deux voies » : « Le Seigneur connaît le chemin des justes, mais le chemin des méchants se perdra ».

Il nous arrive parfois, dans la vie, d’être confrontés à des choix dont nous sentons bien qu’ils dépassent l’incertitude du moment. Ce sont des choix de vie, des choix qui, d’une certaine manière, engage la vie. Ils ne portent pas forcément sur des choses très importantes, comme la vocation, le mariage, ou le travail, mais parfois sur des détails, une phrase qui nous touche, un vêtement qu’on achète, une « coïncidence » apparente. Ces moments nous mettent en face de nos désirs profonds, ou de nos incohérences. Ils demandent à être creusés, pour découvrir, au-delà de l’agitation de nos vies, la soif qui nous habite.

La prière est ce temps où nous pouvons remettre en perspective nos choix et nos non-choix. Elle est comme un temps mort au basket, cette pause pendant laquelle les joueurs récupèrent et les entraîneurs passent les consignes tactiques. Un temps mort au regard de la frénésie d’activités qui agite notre vie extérieure, mais un temps bien vivant au regard de ce qu’il est convenu d’appeler, faute de mieux, la vie intérieure.

Frein moteur

Arghl ! Le grand mot est lâché ! Vie intérieure ! Qu’est-ce au juste ? Le psychiatre Christophe André dit qu’il s’agit de « ce flot de pensées, de souvenirs, de projets, de ressentis émotionnels et corporels, qui se font et se défont en permanence au plus profond de nous ». Personnellement, je préfère la définition simplissime qu’en donne Mère Geneviève Gallois dans son chef d’œuvre « La vie du petit saint Placide » : « La vie intérieure, c’est une vie qui est intérieure ».

Et oui, il y a un espace en nous où une autre vie se déploie, qui ne nous est pas toujours accessible, pas facilement en tout cas. Cette vie-là n’a pas grand-chose à voir avec nos excitations extérieures ; elle est plus souterraine, moins remuante, plus silencieuse. Dans le brouhaha de nos journées, il est rare qu’on puisse l’entendre, sauf à ces précieux moments décrits plus haut où se cristallisent soudain nos aspirations éparpillées.

Prier, c’est se mettre à l’écoute de cette vie intérieure, et la condition principale est le silence. Silence extérieur certes, mais aussi et surtout silence de nos pensées, de nos monologues intérieurs. Silence du corps aussi, qui doit laisser tomber ses tensions sans toutefois s’endormir. Relâcher les muscles superficiels, apaiser sa respiration, descendre la pente de ses pensées au frein moteur. Il ne s’agit pas de chercher à faire le vide en soi, au prix d’efforts épuisants, mais de simplement « laisser retomber le soufflé ». Rien de tel pour cela que de lire par exemple l’évangile du jour, non pas en se torturant le cervelet pour « comprendre », mais comme un enfant écoute une histoire avant de dormir : pour s’imprégner de l’amour de ses parents.

Contemplation

Prier, c’est aussi se mettre sous le regard de Celui qui nous a créés et qui nous aime comme un père aime son enfant. Ce regard-là nous dérange, il n’est pas facile à supporter, surtout au début ; non pas qu’il soit inquisiteur, ou accusateur, non. Bien au contraire : il dit l’amour inconditionnel, qui n’attend rien et se contente d’aimer, trop content qu’on le laisse faire. Se laisser contempler … entrer petit à petit dans la tendresse de ce regard sur nous. En vérité, il n’y a rien de plus difficile au monde que de se laisser aimer, comme ça, gratuitement, sans aucun mérite de notre part (et plus on avance en âge, plus on sait qu’on ne le mérite pas).

Ce qui est pénible dans la prière, c’est qu’il n’y a rien à faire. Il y a juste à se laisser faire, ce qui est à la fois très simple (dans la mesure où ce n’est pas compliqué) mais très difficile (parce que précisément nous sommes compliqués). « Le cœur de l’homme est compliqué et malade ! Qui peut le connaître ? Moi, dit le Seigneur » (Jr 17,9-10). Oui, Dieu seul connaît notre cœur et ses aspirations profondes ; et vous savez quoi ? Ce Dieu qui nous connaît si bien, qui connaît nos erreurs et nos errances, nos échecs et nos échardes, nos volontés de puissance et nos refus d’infini, mais aussi nos luttes et nos lumières, ce Dieu-là nous aime TELS QUE NOUS SOMMES !!!!!! C’est-y pas merveilleux ?

Tellement merveilleux, en fait, que nous avons du mal à y croire : c’est trop beau pour être vrai. Alors nous essayons tant bien que mal de nous soustraire à cet amour, ou du moins à le mériter. Erreur funeste, car tant que nous essayons de mériter l’amour inconditionnel, nous le mettons nous-mêmes sous conditions, et nous lui échappons en essayant de le rattraper. Cours après moi que je t’attrape !

Choisis donc la vie !

La prière n’est pas un jeu intellectuel, une méditation discursive sur la divinité, un monologue ennuyeux dans lequel Dieu ne pourrait pas en placer une. « Prier ne consiste pas à beaucoup parler, mais à beaucoup aimer », disait Thérèse d’Avila, qui s’y connaissait dans le domaine. « La prière, c’est un élan du cœur », renchérit l’autre Thérèse, celle de Lisieux. Un élan vers la vie, et la vie éternelle, celle que vivent dès ici-bas ceux qui connaissent Dieu : « La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu » (Jn 17,3). Prier, c’est choisir la vie ! Si Jésus nous dit de « prier sans cesse » (Lc 18,1), ce n’est pas pour que nous passions nos journées à genoux, mais pour que nous revenions à ce lieu mystérieux au fond de nous où se joue notre relation avec Dieu.

Ce qui est étonnant, c’est que Dieu, lui, nous prie sans cesse : « Revenez à moi ! ». Il sait bien que l’enjeu de la prière, ce n’est pas le record de minutes passées devant le tabernacle, ni le nombre de Notre Père récités, ni même l’obéissance au commandement de Jésus. L’enjeu, c’est notre vie ! « Je mets devant toi la vie ou la mort, la bénédiction ou la malédiction. Choisis donc la vie, pour que vous viviez, toi et ta descendance, en aimant le Seigneur ton Dieu, en écoutant sa voix, en vous attachant à lui ; c’est là que se trouve ta vie, une longue vie sur la terre que le Seigneur a juré de donner à tes pères, Abraham, Isaac et Jacob » (Dt 30,19-20).

La prière est une activité passive,
une passivité active,
où l’on met toute son énergie
à se laisser faire !

Plonger mon regard dans le regard de Dieu,
Le laisser me contempler,
me laisser Le contempler,
et peu à peu découvrir
Sa joie de m’aimer,
ma joie de L’aimer.

Adorer,
ce n’est pas tant se mettre à genoux
que se mettre à l’écoute
de la prière silencieuse
que Dieu adresse à l’homme :
« Je veux demeurer chez toi.« 

Élisée, 2002

(paru dans Car Tu es moi plus que moi-même, Desclée de Brouwer-Peuple libre, 2003)

Image © Elisée

 

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