Janvier 512. Dans le froid brumeux de l’hiver parisien, le cortège funéraire s’avance jusqu’au monastère des saints Apôtres, sur le mons Lucotitius. On y transporte la dépouille d’une vieille femme de 89 ans qui vient de rendre son âme à Dieu. Enterrée à côté du roi des Francs Clovis, rejoint plus tard par son épouse Clotilde, elle donnera son nom à l’abbaye : Sainte Geneviève.
Vierge consacrée …
L’unique hagiographie (du grec hagios, saint) que l’on connaît de sainte Geneviève aurait été écrite 18 ans après sa mort ; il s’agit donc d’un des plus vieux textes du genre. Difficile de vérifier la véracité de faits aussi anciens, d’autant plus que l’époque n’était pas au reportage journalistique ; il semble cependant que Geneviève, née à Nanterre vers 420, était la fille unique d’un riche gallo-romain d’origine franque (son nom latin, Genovefa, étant la latinisation du francique Kenuwefa). Très jeune, elle voue sa vie à Dieu et montre une grande piété, au point d’avoir été remarquée par l’évêque d’Auxerre saint Germain, qui passait par Nanterre en 430. Quelques années plus tard, elle reçoit la consécration des vierges, puis vient s’installer à Paris (qui ne s’appelle déjà plus Lutèce) à la mort de ses parents. Elle conserve là la charge de magistrat municipal qu’elle avait déjà à Nanterre, charge héritée de son père.
C’est l’époque des grandes invasions, les fameuses « invasions barbares », qui provoqueront en 476 la chute de l’Empire romain. Un guerrier farouche venu des confins de la Hongrie arrive aux portes de la Gaule : Attila le Hun. Fidèle à sa légende qui veut que « là où son cheval passe, l’herbe trépasse », il ravage tout sur son passage. Alors que les Parisiens s’apprêtent à fuir, Geneviève les exhorte à rester avec ses mots demeurés célèbres : « Que les hommes fuient, s’ils veulent, s’ils ne sont plus capables de se battre. Nous les femmes, nous prierons Dieu tant et tant qu’il entendra nos supplications ». Et de fait, Attila évitera Paris pour marcher directement sur Orléans, qui résistera assez longtemps pour permettre aux troupes romaines de venir en renfort.
… femme d’action …
Quinze ans plus tard, en 465, c’est le roi des Francs Childéric 1er qui assiège la ville et impose un blocus. Paris est alors au bord de la guerre civile, entre représentants des Romains et partisans des Francs. Pendant dix ans, Geneviève réussit à créer une zone de paix sans favoriser aucun des deux partis en présence ; elle parvient même à faire entrer des provisions dans la ville par bateau, évitant des centaines de morts par famine.
Dans le désordre qui suit, Geneviève devient administratrice de la ville, avec d’autres âmes de bonne volonté, catholiques comme elle ; comprenant que l’Empire romain d’Occident est en train de disparaître, elle soutient Clovis avec qui elle négocie la soumission de Paris : Clovis est païen, certes, mais pas arien comme la plupart des autres rois barbares (l’arianisme est considéré comme une hérésie et farouchement combattu par l’Église catholique). Elle conservera d’ailleurs toujours de bonnes relations avec lui, priant pour sa conversion au catholicisme (qui surviendra, comme on le sait, en 496).
… et de prière
Dans le même temps, Geneviève mène une vie de prière et d’austérité, malgré sa grande fortune dont elle use abondamment en faveur des plus pauvres. C’est à elle que l’on doit la construction de la basilique saint Denis, à l’emplacement du tombeau du saint. Un soir qu’elle visite le chantier, le cierge que tenait un de ses compagnons vient à s’éteindre ; elle le prend alors dans sa main, et le cierge se rallume tout seul ! C’est pourquoi on la représente souvent, coiffée du voile blanc des vierges, tenant un cierge à la main.
Sainte Geneviève fait partie de ces saintes qui, à l’instar de sainte Catherine de Sienne, ont su concilier une ardente vie de prière avec une grande activité au service de la cité. De nombreux miracles lui sont attribués, avant comme après sa mort. Comme d’autres grands saints du début du christianisme, sa vie a servi de modèle à d’autres hagiographies, sans que l’on puisse toujours bien distinguer l’original de la copie. Ainsi sainte Jalle, née à Valence au début du VIe siècle, vierge consacrée elle aussi, qui aurait préservé la ville de l’invasion des Lombards.
On comprend aisément que sainte Geneviève, qui a donné son nom à l’une des collines de Paris, soit la patronne de cette ville ; mais c’est en raison de son dévouement au service de la population que Jean XXIII en fit, en 1962, la patronne de la Gendarmerie. Quant aux vierges consacrées, elles fêtent avec discrétion, le 3 janvier, celle qu’elles reconnaissent comme une sœur aînée.
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