Le temps de Noël: Jouez hautbois, résonnez musettes !

Le temps de Noël est le temps le plus court de l’année liturgique (moins de trois semaines), mais il est plein comme un œuf (en chocolat) de grandes fêtes. Le premier jour de ce temps est bien évidemment le jour de Noël, solennité de la Nativité : après la fête de Pâques, c’est la deuxième plus grande fête chrétienne. Par la naissance de Jésus, « Dieu se fait homme pour que l’homme soit fait Dieu » disait déjà saint Irénée au deuxième siècle. Si on ne sait pas exactement l’année de naissance de Jésus, on est sûr en revanche qu’il n’est pas né un 25 décembre : les bergers ne traînent pas dans la montagne avec leurs troupeaux à cette période de l’année. Alors pourquoi cette date ?

Il est né le divin enfant

Dès l’Antiquité, le solstice d’hiver a marqué les esprits comme symbole de naissance, de renaissance, de fertilité et de maternité. En Perse, le culte de Mithra connaissait sa fête la plus importante en ce jour le plus court de l’année, célébrant la naissance de la divinité et la victoire du jour sur la nuit. À Rome, les saturnales précédaient la célébration de Saturne le jour du solstice, tandis que la fête des sigillaires concluait les festivités du mois de décembre. Au IIIe siècle, l’empereur Aurélien officialise la divinité solaire de Sol invictus (soleil invaincu) et en fait le patron principal de l’Empire romain. Le 25 décembre (calculé par erreur comme solstice d’hiver trois siècles auparavant) devient la grande fête romaine, le dies natalis solis invicti, jour de naissance du soleil invaincu. Le judaïsme n’est pas en reste, qui fête en décembre Hanouka, la fête de la ré-inauguration du Temple de Jérusalem qui avait été profané sous Antiochus IV.

C’est au IVe siècle que le christianisme s’est emparé de cette fête païenne et l’a réinterprétée à sa manière : la vraie lumière qui éclaire tout homme en venant dans le monde (Jn 1,9), c’est le Christ, soleil de justice (Ml 4,2), astre d’en haut venu nous visiter (Lc 1,78). Victoire de la lumière sur les ténèbres alors que les jours commencent à rallonger, la fête de Noël a pour pendant la fête de Jean-Baptiste au solstice d’été (24 juin) : « Il faut qu’il grandisse et que je diminue » (Jn 3,30).

De la crèche au crucifiement

Donc, le 25 décembre, on mange, on boit, on s’échange des cadeaux : c’est la fête. Et le lendemain, boum patatra, la liturgie nous invite à faire mémoire de saint Etienne, premier martyr : fini de rigoler, tout de suite après la naissance, il y a la mort. Et c’est avec une impression de gueule de bois que nous lisons le récit de sa lapidation au chapitre 7 des Actes des Apôtres. Etienne meurt pour avoir témoigné de la divinité du Christ, le raccourci est saisissant : celui par qui tout a été fait « est venu dans le monde, et le monde ne l’a pas reconnu », dit saint Jean dans son Prologue (Jn 1,10).

Et c’est précisément ce même saint Jean l’Évangéliste que nous retrouvons le 27 décembre, avec une première lecture qui insiste sur l’incarnation (« Ce que nous avons vu de nos yeux, ce que nous avons contemplé et que nos mains ont touché » 1 Jn 1,1) et un évangile qui nous raconte la découverte du tombeau vide par « le disciple que Jésus aimait » (« Il vit et il crut » Jn 20,8). Que voit Jean en arrivant au tombeau ? Les linges affaissés et le suaire bien à sa place. Que croit-il ? Que Jésus est ressuscité ! Mais après tout, qu’avaient vu les bergers à la crèche ? Un nouveau-né couché dans une mangeoire. Et qu’ont-ils cru ? Que le Sauveur du monde était né ! Saperlipopette ! Il ne suffit donc pas de voir pour croire, il faut encore croire pour voir ! Où donc avons-nous les yeux, pour pouvoir proclamer avec saint Jean : « La Vie s’est manifestée, nous l’avons vue, et nous rendons témoignage » (1 Jn 1,2) ?

Le Sauveur que le monde attend

Et ce n’est pas fini ! Le 28, dans la continuité du texte de la Nativité, nous lisons le récit dans Matthieu du massacre des enfants de Judée par le roi Hérode. Résumé : Jésus est né à Bethléem, des astrologues persans découvrent une étoile nouvelle dans le ciel, signe incontestable qu’un roi est né ; ils font la route jusqu’à Jérusalem pour se renseigner du lieu de la naissance et apprennent que, d’après les prophètes, le Messie doit naître à Bethléem ; « Quand vous l’aurez trouvé, venez me l’annoncer pour que j’aille, moi aussi, me prosterner devant lui » leur dit le roi Hérode (Mt 2,8). Les mages y vont donc, mais pas bêtes, ils repartent par un autre chemin, sans passer par la case Jérusalem. Hérode, furieux de s’être fait rouler et terrifié à l’idée qu’un sérieux concurrent au trône vient de naître, ne fait pas dans la dentelle : il ordonne la mise à mort de « tous les enfants jusqu’à l’âge de deux ans à Bethléem et dans toute la région, d’après la date qu’il s’était fait préciser par les mages » (Mt 2,16).

Image © Elisée

Nulle trace de ce fait divers dans Les antiquités juives de l’historien du Ier siècle Flavius Josephe, mais ce n’est pas invraisemblable de la part d’un roi qui fit assassiner son épouse et ses propres enfants. Mais même si le massacre des Innocents n’eut pas dans la réalité l’ampleur que lui donne Matthieu, il rappelle surtout fort à propos celui des enfants hébreux mâles par Pharaon au moment de l’esclavage en Égypte, et inscrit Jésus comme le nouveau Moïse venu sauver le peuple de l’esclavage du péché. C’est aussi une manière d’affirmer que le Dieu qui a pris chair à Noël est plongé comme nous dans la violence aveugle et brutale qui caractérise ce monde soumis à l’orgueil et à la jalousie : « Il est venu chez les siens, et les siens ne l’ont pas reçu » (Jn 1,11). Mais en proclamant saints et innocents ces enfants morts à la place du Christ, l’Église rappelle que tous ceux qui donnent leur vie pour lui « ne sont pas nés du sang, ni d’une volonté charnelle, ni d’une volonté d’homme : ils sont nés de Dieu » (Jn 1,13).

Pour un Dieu, quel abaissement !

Le dimanche qui suit la fête de Noël (et ça peut être le lendemain, quand Noël tombe un samedi), nous fêtons la Sainte Famille. Après les grandes envolées théologiques du jour de Noël, retour sur terre. Des fiançailles au bord de la rupture, une naissance hors mariage, un père qui n’hésite pas à entreprendre un long voyage avec sa femme enceinte jusqu’aux yeux, un accouchement dans la précarité, un gosse qui fait une fugue à douze ans, un père qui n’en pipe pas une et une mère qui « garde toute ces choses dans son cœur » … Dieu naît dans une famille qui ressemble à toutes les autres ! Il est vrai que les ancêtres de Jésus n’étaient pas tous des enfants de chœur (cf. La généalogie de Jésus).

Mais justement, si l’Église nous propose cette famille comme modèle, c’est que sa sainteté, comme celle de ses aïeux, ne consiste pas dans la perfection de ses membres, mais dans sa confiance en Dieu et son amour les uns pour les autres. Joseph est bien le chef, le guide du foyer : il ne parle pas, mais il agit, il nourrit, il protège. Marie médite la Parole et oriente Jésus vers sa propre vocation (c’est très clair dans l’épisode des noces de Cana). Tous deux respectent leur enfant dans sa différence, l’aide à grandir et à aller vers lui-même et vers les autres, dans la réalité concrète de la vie quotidienne.

Qu’il revienne à la fin des temps …

Le 1er janvier, quoi qu’il arrive, on fête Marie Mère de Dieu. Jusqu’en 1974, on fêtait ce jour-là la Circoncision de Notre Seigneur, le huitième jour après sa naissance, comme il est de coutume chez les Juifs. Pourquoi cette fête rappelant la judéité du Messie est-elle passée à la trappe ? Mystère … Il en reste malgré tout l’Évangile du jour, relatant ladite circoncision dans Luc. « Theotokos », Mère de Dieu, c’est un des nombreux titres de Marie, attribué depuis le concile d’Éphèse en 431. Mais comme le 1er janvier est aussi la Journée mondiale de la Paix (à ne pas confondre avec la Journée internationale de la Paix, instituée par les Nations Unies le 21 septembre), Benoît XVI a fait de Marie également la Reine de la Paix …

Après ça, la tension retombe un peu, et on digère toutes ces fêtes en même temps que le foie gras et le saumon. Une petite diète s’impose et la nouvelle année commence au ralenti. Mais c’est pour mieux attaquer la galette des rois, mets traditionnel de l’Épiphanie (du grec epiphaneia, manifestation). Dieu se manifeste au monde, et à travers l’adoration des mages venus d’Orient, c’est le monde entier qui est appelé à le reconnaître dans ce petit enfant.

Enfin, le grand rush des fêtes se termine avec le baptême de Jésus dans le Jourdain par Jean le Baptiste. Comme le temps de Noël ne peut compter que trois dimanches, cette fête est souvent placée le lundi qui suit l’Épiphanie. En prenant place dans la file de ceux qui se font baptiser par Jean, Dieu nous montre de quel côté il se range : les petits, les boiteux, les prostituées et les publicains. « Je ne suis pas venu appeler des justes mais des pécheurs, pour qu’ils se convertissent » (Lc 5,32).

Après ça, et un peu brusquement il faut l’avouer, commence la première semaine du temps ordinaire, où l’on entame la lecture continue de l’Évangile de Marc. Quelques semaines de répit avant le Carême …

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