La messe en mouvements

Vous vous êtes peut-être déjà demandé pourquoi on assiste à certaines parties de la messe debout et à d’autres assis, voire à genoux. Pourquoi fait-on un grand signe sur soi au début et à la fin, et une espèce de petit grigri sur le front au début de l’Évangile ? Pourquoi on trempe ses doigts dans la grande vasque à l’entrée de l’église ? Cet article va tenter de répondre à vos questions.

Le signe de croix

C’est le signe de ralliement des chrétiens, même si beaucoup d’Églises protestantes l’ont abandonné ; apparu au début du IIIe siècle, il est tracé sur le front du futur baptisé pour marquer son entrée dans la communauté des croyants. Sur soi-même, il consiste à poser les doigts de la main droite sur son front puis sur sa poitrine, et de l’épaule gauche à l’épaule droite pour les catholiques, de la droite à la gauche pour les orthodoxes (à noter que les orthodoxes le font avec trois doigts, symbolisant la Trinité).

Les fidèles sont invités à se signer avec l’eau bénite disposée dans le bénitier à l’entrée de l’église (l’eau bénite est un rappel du baptême), puis au début de la messe, quand le prêtre les accueille « au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit », puis au moment de la bénédiction finale. Un signe de croix rapide et étriqué, façon chasse-mouche, peut facilement devenir un geste de superstition ; mais ample et habité, il devient comme un vêtement dont on s’enveloppe pour entrer dans la prière. Accompagnant la bénédiction, il est le signe de la victoire de la vie sur la mort.

Il y a aussi ce petit signe de croix que l’on fait avec le pouce sur le front, les lèvres et le cœur au moment de la proclamation de l’Évangile ; ce n’est pas que ces trois endroits nous démangent particulièrement, mais c’est en réalité une prière : nous demandons à Dieu d’ouvrir notre intelligence (le front) pour comprendre l’Évangile, nos lèvres pour le proclamer, et notre cœur pour l’aimer. « Elle est tout près de toi, cette Parole, elle est dans ta bouche et dans ton cœur, afin que tu la mettes en pratique » (Dt 30,14).

La position assise

C’est une position de confort qui, dans une église, a deux significations. La première, c’est qu’on se sent chez soi : on entre, on se signe, on salue éventuellement d’autres personnes, puis on va à sa place et on s’assoit sans y avoir été invité. Comme à la maison …

La deuxième, évidemment, c’est l’écoute de la Parole : le corps se repose, mais l’esprit et l’intelligence sont en action. Assis ne signifie pas vautré : c’est Dieu qui nous parle quand on proclame la Parole, il a des choses à nous dire, donc la moindre des politesses est de l’écouter attentivement (« Soyons attentifs » dit la liturgie orientale). Écouter est un verbe actif, il ne s’agit donc pas de s’endormir. Il ne s’agit pas non plus de lire dans son petit missel perso : c’est la liturgie de la Parole, pas de la lecture ! Si la lecture n’est pas compréhensible, c’est normalement au lecteur d’apprendre à lire en public, et non aux fidèles de compenser par une lecture individuelle. « Celui qui a des oreilles, qu’il écoute ce que l’Esprit dit aux Églises » (Ap 3,22).

La position debout

L’homme est le seul animal capable de tenir spontanément et longuement la station verticale. Rien que pour ça, se tenir debout devrait être la position privilégiée à la messe, qui est, rappelons-le, le mémorial de l’Alliance signée entre Dieu et l’homo sapiens. Mais pour un chrétien, la position debout est surtout la position du Ressuscité, l’homme relevé de la mort. D’ailleurs, dans l’art paléochrétien, notamment l’art funéraire, la position de l’orant (l’homme en prière) est debout, les bras levés et les paumes ouvertes. C’est pourquoi le prêtre, quand il prie au nom de l’assemblée, est debout les bras levés ; et les fidèles sont invités à adopter la station debout pour chaque oraison (la collecte à la fin du rite d’accueil, la prière sur les offrandes et la prière après la communion), ainsi que pour la prière eucharistique.

Ce qui est plus étonnant, c’est que la liturgie prévoit que les fidèles se lèvent pour écouter l’évangile, alors qu’ils s’assoient pour les autres lectures. C’est que l’évangile, c’est le Christ, c’est le Ressuscité ; écouter debout, c’est être prêt à se mettre en route comme les Hébreux au soir de la première Pâque ; c’est reconnaître dans la parole du Christ le monde à venir.

Peut-être y a-t-il aussi une autre raison, plus culturelle. Lors de ma première messe dominicale au Tchad, j’ai été extrêmement surprise de voir l’assemblée, qui s’était levée,  comme il se doit, pour l’acclamation de l’évangile, s’assoir dès que le prêtre a commencé la lecture ! De retour à la maison, j’ai demandé la raison aux sœurs missionnaires chez qui je séjournais ; réponse : « Ah mais, c’est parce qu’ici, le chef, on l’écoute assis ! » Et le prêtre, c’est le chef ! Il est vrai qu’à la cour du roi de France, on écoutait le roi debout … (tant qu’il n’avait pas invité à s’assoir).

L’agenouillement

Voilà une position qu’il nous est difficile d’adopter ! « Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux ! » proclame-t-on avec force (surtout quand on ne risque pas sa vie). Outre que cela n’est pas vrai partout (combien de fois ai-je entendu des Bantous dire « mieux vaut souffrir que mourir ! »), tout dépend devant qui on s’agenouille. On assimile souvent l’agenouillement à la supplication, et de fait c’est le sens le plus ancien de cette posture. Mais au fil des siècles, c’est devenu une attitude d’adoration (devant le Saint Sacrement) et de respect (pendant la communion) ; il s’agit de manifester à travers notre corps la grandeur du Dieu qui nous a créés.

Il est donc vivement recommandé (« à moins que l’exiguïté des lieux ou le grand nombre des assistants ou d’autres circonstances ne s’y opposent » dit la Présentation Générale du Missel Romain au n°43) de se mettre à genoux : à la messe, pendant la consécration, et éventuellement pour communier ; à l’adoration, devant le Saint Sacrement ; au passage du Saint Sacrement, pendant les processions. À noter une mention spéciale pour le Vendredi Saint, qui cumule les occasions de s’agenouiller en signe de pénitence : au début de la célébration (quand le prêtre est prosterné à terre), à la lecture de l’Évangile de la Passion (au moment de la mort de Jésus), durant la grande prière universelle, et lors de l’ostension de la croix.

La génuflexion

Quand j’étais gamine (il y a très longtemps …), je voyais la sacristine de la paroisse, petite souris grise se faufilant partout, faire un geste bizarre chaque fois qu’elle passait devant le tabernacle, comme si elle manquait de se casser la figure. Il s’agissait en fait d’une génuflexion, mais exécutée à une telle vitesse qu’elle ne ressemblait plus à grand-chose. Plus tard, j’ai découvert la beauté et la grandeur de ce geste, lorsqu’il n’est pas fait par habitude et avec précipitation. Je revois encore une de mes amies mettre un genou en terre, comme un chevalier devant son seigneur : c’était très beau et cela avait vraiment du sens. Normalement, c’est le genou droit que l’on pose (brièvement) au sol, mais personnellement je n’arrive à le faire qu’avec le genou gauche ! Je pense que Dieu ne m’en veut pas …

La génuflexion est toujours un signe de respect devant la Présence du Christ ; le prêtre la fait à l’autel au moment de la consécration du pain puis du vin, devant le tabernacle quand il sort le ciboire, etc. Les fidèles sont invités à faire ce geste devant l’hostie au moment de communier (s’ils ne communient pas à genoux), et, en dehors de la messe, devant le tabernacle.

L’inclination

Voilà pour le coup un geste qui s’est malheureusement perdu ; il revient progressivement avec les formations liturgiques, notamment pour la proclamation de la Parole, et la Liturgie des Heures. C’est pourtant un geste simple et profond, plus facilement réalisable que la génuflexion. Si cette dernière est réservée à la Présence Réelle dans le Saint Sacrement, l’inclination, quant à elle, se fait devant l’autel, symbole du Christ : le prêtre s’incline devant l’autel à l’entrée et à la sortie ; les lecteurs le font en allant à l’ambon. On s’incline également au moment de l’encensement (qui rappelle notre dignité d’enfants de Dieu), de la bénédiction finale, et éventuellement à la communion si on ne peut pas faire la génuflexion. En principe, on devrait le faire aussi pour le geste de paix, puisqu’il s’agit de la paix du Christ, mais c’est en général une telle pagaille que ça passe inaperçu (cf. Le temps de la paix).

On ne le sait pas toujours, mais l’inclination profonde est prescrite à tous durant le Credo, au moment des paroles Par l’Esprit Saint, il a pris chair de la Vierge Marie et s’est fait homme ; toutefois, deux jours dans l’année, le missel ne demande pas là l’inclination, mais carrément l’agenouillement : à Noël et à l’Annonciation.

Battre sa coulpe

Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa … C’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute ! On reproche souvent aux chrétiens d’être un brin doloriste, de se complaire dans la culpabilité au lieu de chanter les louanges de Dieu (« Je croirai en Dieu le jour où les chrétiens auront des gueules de ressuscités » disait notre ami Nietzsche). Le reproche est, hélas, souvent justifié. Mais acclamer le Dieu qui nous sauve, c’est aussi reconnaître que nous avons besoin d’être sauvés, même si nous ne savons pas toujours bien de quoi. C’est pourquoi la messe (sacrement de notre salut) commence par la reconnaissance de nos fautes. La formule privilégiée est la récitation du Confiteor (Je confesse à Dieu) ; le missel prévoit explicitement qu’on se frappe la poitrine en disant Oui, j’ai vraiment péché, pour marquer notre repentir. C’est un geste très ancien, que l’on trouve déjà dans l’Ancien Testament et dans les évangiles : « Le publicain, lui, se tenait à distance et n’osait même pas lever les yeux vers le ciel ; mais il se frappait la poitrine, en disant : ‘Mon Dieu, montre-toi favorable au pécheur que je suis !’ » (Lc 18,13). Accessoirement, ça oblige à penser à ce qu’on dit, au lieu de réciter machinalement. On bat sa coulpe également avant de communier, en disant Je ne suis pas digne de te recevoir : c’est marquer dans son corps le regret de son cœur.

Une belle et noble simplicité

Pourquoi tous ces gestes, me demanderez-vous ? Ne pourrait-on pas se contenter d’écouter tranquillement, comme on assiste à la messe à la télé dans son fauteuil ? Et bien justement, on ne vient pas à la messe pour y assister, mais pour y participer, et y participer activement. Non pas en se démenant dans tous les sens, en « faisant des choses » (si possible bien en vue dans le sanctuaire), en essayant tant bien que mal de remplacer le prêtre (comme on a pu le revendiquer dans les années post-Vatican II), mais en ajustant notre corps à notre cœur : « Le geste du corps est en lui-même porteur d’un sens spirituel sans lequel l’attitude physique resterait sans signification. L’acte spirituel, de par son essence, de par l’unité corps-âme de l’homme, doit nécessairement s’exprimer dans le corps » (Card. Joseph Ratzinger, L’esprit de la liturgie, Ad Solem, 2001).

Certains regrettent que nos liturgies soient si solennelles, contrairement aux messes africaines où la danse a toute sa place. Mais solennel ne signifie pas nécessairement triste, comme la danse, en Afrique, n’est pas forcément synonyme de joie (d’ailleurs, les petites filles qui dansent à la messe au Congo le font avec un sérieux imperturbable) ; et j’ai souvent constaté que les mêmes qui fustigent le côté statique de la messe ne s’agenouillent pas à la consécration, par exemple.

Le rite romain nous offre des occasions de manifester avec notre corps notre foi et notre attachement à Dieu, saisissons-les, avec « une belle et noble simplicité, [afin] que soit perçue  toute la vraie signification de ses diverses parties et que soit favorisée la participation de tous », sans oublier que « les attitudes communes à observer par tous les participants sont un signe de l’unité des membres de la communauté chrétienne rassemblée » (PGMR n°42).

 

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